Flore Vasseur, choisir l'humanité plutôt que de s'accrocher à son confort - Interview sur Esperluette podcast

Flore Vasseur : choisir l’humanité plutôt que de s’accrocher à son confort

Avec cet épisode je continue ma série dédiée aux personnes qui s’engangent. Après Anaëlle Marot et le projet Azur, Nicolas Chabanne et la marque du consommateur C’est qui le patron?!, je continue dans cette belle lancée avec ma rencontre avec Flore Vasseur.

Flore, je l’ai rencontrée grâce à mon amie Sandrine Fdida, qui après avoir visionné le documentaire “Bigger than us” dont Flore est la réalisatrice, a réussi à fédérer une quinzaine de chef·fes d’entreprises et d’indépendant·es pour créer le collectif EtSiCTToi et organiser en quelques semaines deux projections / débats à Avignon.

Et bien sûr, quand elle m’a proposé de passer 1 heure avec Flore pour parler de son engagement, de ce qui l’anime toujours même après plus de 600 débats et de ses projets à venir pour continuer à nous pousser à sortir de notre confort et exercer notre puissance d’être humains en interaction avec nos semblables et la planète, j’ai sauté sur l’occasion.

J’espère que les paroles de Flore et des jeunes qu’elle a suivis dans son documentaire seront entendues, partagées, méditées et qu’elles permettront de faire avancer les choses vers une plus belle humanité.

Bonne écoute !

Si vous êtes plutôt visuel, Véronique Marguet a croqué en une planche nos échanges avec Flore en direct lors de l’interview. Merci à elle !

Captation de l'interview de Flore Vasseur par Véronique Marguet

Références citées dans l’épisode :

Si vous souhaitez organiser une projection de Bigger than us, c’est ici

Vous soupez soutenir les jeunes présentés dans le film en faisant un don à Bigger than us Support

L’épisode a été enregistré dans les jardins de l’association Semailles à Avignon

Greta Thunberg

Camille Etienne

Youth for Climate

Unis-Cité

Meeting Snowden réalisé par Flore Vasseur

Un focus sur #EtSiCTTOI?

C’est un projet collaboratif qui a rassemblé Sandrine Fdida, Hervé Millet, Maïté Millet, Etienne Laffaire, Carol Isouard Pauleau, Frédéric Dahm, Véronique Marguet, Lily Gros, Sophie Texier, Sandrine Desgrippes, Linda Achour, Sébastien Touquet.
Ce soir-là, il y avait aussi des intervenants locaux venus expliquer leur engagement sur le territoire:

Logo EtSiCTToi créé par Maxence Brun

– Solene Espitalié des Les Jardins de Solène
– Thomas Le Roux, de la Brasserie Artisanale La Comédienne.
– Marion Folliasson du Tiers-Lieu Culturel L’Eveilleur SCOP
– Paul-Arthur Klein pour Les Jeunes Pousses
– Les jeunes d’Unis Cité Méditerranée
– Johanne Picard de Lökki Kombucha
– Le café-librairie Youpi
– L’agenda local les Lucioles
– L’association Semailles Avignon où l’interview a été enregistrée
– ECO-Lab’ Environnement
– Rosmerta, CIDFF84 & La Fresque du Climat


Et bien sûr, des partenaires financiers ont permis à ce que cette journée puisse être possible, merci à elles·eux : Le CJD PACA, Nextech, La chocolaterie Castelain, Le Crédit Mutuel, Shakpa, Unis-Cité, CBA, MAIF, Kizeo, Le Crédit Agricole Alpes Provence, Juste bio, le Pathe Cap Sud.

Logo EtSiCTToi créé par Maxence Brun – Anthracite Studio

Pour les malentendant·es, l’épisode est entièrement retranscrit ci-dessous

Merci à Autoscript qui me permet de faire toute la retranscription de mes épisodes

Introduction de l’épisode

Je suis ravie de vous accueillir pour ce nouvel épisode d’Esperluette. 

Si vous découvrez Esperluette aujourd’hui, petit rappel Esperluette c’est  le podcast qui va vous faire écouter le Vaucluse. Moi je suis Marie-Cécile Drécourt, la productrice de ce podcast depuis maintenant 6 ans. Même si ici je veux faire découvrir mon territoire autrement, vous n’avez pas besoin d’être vauclusien ou vauclusienne pour l’écouter, chacune de mes interviews peut vous inspirer et apporter du positif dans vos oreilles, peu importe là où vous habitez.

Et quoi de mieux pour vous inspirer que de vous proposer une petite série d’épisodes sur des personnes qui s’engagent, chacun et chacune à leur manière. Après Anaëlle Marot et le projet Azur, Nicolas Chabanne et la marque du consommateur C’est qui le patron, je continue dans cette belle lancée avec ma rencontre avec Flore Vasseur.

Pourquoi j’ai souhaité interroger Flore ?

Flore, je l’ai rencontrée grâce à mon amie Sandrine Fdida, qui après avoir visionné le documentaire “Bigger than us” dont Flore est la réalisatrice, a réussi à fédérer une quinzaine de chef·fes d’entreprises et d’indépendant·es pour créer le collectif EtSiCTToi et organiser en quelques semaines deux projections / débats à Avignon.

Et bien sûr, quand elle m’a proposé de passer 1 heure avec Flore pour parler de son engagement, de ce qui l’anime toujours même après plus de 600 débats et de ses projets à venir pour continuer à nous pousser à sortir de notre confort et exercer notre puissance d’être humains en interaction avec nos semblables et la planète, j’ai sauté sur l’occasion.

L’interview a été enregistrée le 06 juin 2024 sur un banc entouré de nature et de grenouilles dans le magnifique jardin de l’association Semailles à Avignon. 3 jours plus tard, les résultats des élections européennes tombaient, ça a été une grosse claque pour ma part. Hier, quelqu’un me demandait si j’allais traiter des élections sur mon podcast. Sur le coup j’ai répondu que je ne faisais pas de politique, mais en fait si. Chacun de mes épisodes est politique : donner la parole, ancrer les témoignages de mes invité·es pour qu’ils ou elles puissent être entendus et partagés c’est politique. Alors j’espère que les paroles de Flore et des jeunes qu’elle a suivis dans son documentaire seront entendues, partagées, méditées et qu’elles permettront de faire avancer les choses vers une plus belle humanité.

Je vous souhaite une bonne écoute !

Présentation de Flore Vasseur

Flore : Je suis Flore Vasseur, je suis auteure, réalisatrice, un peu productrice. Mon dernier travail s’appelle Bigger than Us, c’est un film documentaire.

Ça vient essentiellement de la question de mon fils, il y a maintenant bien des années, qui me pose la question suivante, alors qu’il a 7 ans, maman, ça veut dire quoi la planète va mourir ? Et qu’est-ce que je peux faire, moi, pour qu’elle ne meure pas ? Et toi, qu’est-ce que tu fais ? »

Et donc, voilà, je passe les détails, mais j’ai senti que, comme mon fils, il y avait toute une génération qui était un petit peu toute seule face à ce qui arrivait, et que le discours des adultes ne marchait pas, ne les intéressait pas et ne changeait rien. Et donc, je me suis dit que j’avais besoin d’aller chercher des réponses pour mon fils. Et que ces réponses-là existaient, mais pas encore sous forme saisie. Et que cette génération, enfin la jeunesse, moi-même quand j’étais jeune j’écoutais que la jeunesse – en fait à partir de 18 ans, on est tous des dinosaures, de toute façon, pour eux – donc, j’ai eu envie de faire un film où d’autres jeunes parlaient de son monde et lui montraient qu’il y avait des réponses et qu’il y avait des façons d’agir et qu’il y a des façons d’exister et de trouver sa voie qui était probablement à rebours de tout ce que disaient les parents.

Marie-Cécile : Donc, Bigger Than Us, c’est un documentaire dont l’objectif est de parler à la jeunesse ?

Bigger than us, un documentaire destiné à la jeunesse mais pas que…

Flore : Non, l’objectif, c’était de parler… En fait, c’est marrant parce que c’est la question que m’ont posée, la monteuse et le compositeur, le premier jour du montage. Parce qu’il y a 300 heures de rush, il faut sortir un film d’une heure trente. Donc, il faut un espèce de direction.

C’est là qu’on vous attend en tant que réalisateur, c’est votre job. Vous dites, moi, je veux ça. Et donc, ils me posent la question. Et moi, c’est mon premier film de cinéma, donc je n’avais bien sûr pas préparé. Et ils dit : « m’ont fait : « Le « On fait le film pour qui ? » Et là, je leur ai dit : « En fait, il faut faire le film… pour les extraterrestres. » Et là, ils me disent : « mais c’est à dire?  »

Je dis, bah, en fait, je voudrais que vous fassiez un film qui puisse partir dans l’espace et un jour, il y a des extraterrestres qui vont tomber dessus. Et ça sera comme une time capsule. Et je veux qu’ils voient combien l’humanité était belle et combien elle s’est fourvoyée faute d’accepter sa vulnérabilité. Et ils ont sorti ce film. Donc, ça devait être une bonne direction.

Marie-Cécile : OK, un film pour que les extraterrestres voient ce qu’est l’humanité aujourd’hui, dans sa beauté et ce qu’il y a de pire. Comment Flore et son équipe ont fait pour trouver les jeunes interrogés dans le documentaire et comment le tournage s’est-il passé ?

Comment Flore a choisi les jeunes et comment le tournage s’est-il passé ?

Flore : Ça, c’est un très gros travail journalistique. C’est sûr que ces personnes-là, fabuleuses, existent, mais il faut les trouver. L’industrie des médias, du journalisme, du cinéma, s’en fout, en fait et déconsidère ces histoires parce qu’elles ne sont pas… si faciles à vendre.

C’est beaucoup plus facile de faire peur, c’est beaucoup plus facile de faire mal, c’est beaucoup plus facile d’être dans les clous, en fait, de ce que la société dit. Donc, c’est un vrai travail de journaliste, en fait, et d’enquête qui nous a pris sept mois, où on a collecté toute une série de noms, de personnes qui faisaient des choses partout dans le monde.

Et puis après, on a choisi parmi elles celles qui étaient les plus fortes à l’écran. Enfin, qui tiennent le temps, en fait. C’est une histoire qui tient le temps. Et une histoire qui tient le temps, c’est une histoire qui est hyper sincère, qui est hyper incarnée.

Et donc, il ne fallait pas se planter parce que, en fait, quand on a démarré… Enfin, une fois qu’on avait démarré, il y a Greta Thunberg qui est apparue sur les écrans de tout le monde. Et on a vu à quel point elle se faisait démolir par toutes celles et ceux qui n’avaient pas envie d’entendre son message. Et que tout était prétexte, en fait, pour affaiblir son propos. Quand on ne peut pas tuer le message, on tue le messager.

Et donc, je me suis dit que ma responsabilité, en tant que réalisatrice et productrice avec d’autres de ce film, c’était de m’assurer que les personnes que je mettais à l’écran étaient inattaquables, dans leur engagement.

Après, on peut dire, j’aime pas l’Afrique, j’aime pas le climat, j’aime pas la… Voilà. Mais dans ce qu’elles portent, dans ce qu’elles font, dans la cause qu’elles font, il n’y a rien à dire, en fait. C’est… Voilà. Et c’est ce qui a fait qu’on a mis sept mois à les trouver. On a tourné… Pendant sept mois. Il y a sept pays, donc un pays par mois.

On est restés dans chacun de ces pays que quatre à dix jours. Mais on ne pouvait pas les enchaîner. Physiquement, c’était impossible. Moralement, c’était impossible. Et puis, c’est sept thématiques différentes. Donc, il faut se remettre dans le truc d’après. Mais c’était quand même assez court comme tournage. Et on a monté le film pendant neuf mois. Mais ça, c’est parce que c’était la pandémie et qu’on était extrêmement ralentis.

Mais en même temps, moi, j’ai adoré… Enfin, c’était pour moi. Je sais que beaucoup de gens ont souffert pendant le confinement. Mais pour moi, c’était une bénédiction. Parce qu’il faut beaucoup, beaucoup de temps et c’est les choses que vous n’avez jamais. Quand vous faites un documentaire, éventuellement, vous arrivez à être financé pour partir en tournage. Mais le montage, on s’en fout. Les gens imaginent qu’on fait un film comme ça en quatre jours et que iMovie, sur son téléphone, ça suffira. Vous voyez ce que je veux dire. J’ai enfin pu m’arrêter et n’avoir rien d’autre à faire que de regarder ce que j’avais et de le tisser de la meilleure façon possible.

Marie-Cécile : Un documentaire pensé avec cœur et réalisé avec ce qui est précieux de nos jours, du temps. Aujourd’hui, il y a eu plus de 4500 projections citoyennes autour de ce film et ça continue. Quelles sont les premières réactions des spectateurs et des spectatrices quand il viennent voir Bigger than us ?

Bigger than us, une claque pour les spectateurs et les spectatrices

Flore : En fait, le mot qui vient le plus souvent, c’est quand même que c’est une claque. Après, il y en a des douces, il y en a des moins douces, il y en a des tendres, il y en a des émotionnelles, il y en a des brutales, il y en a des culpabilisantes, il y en a des rageuses, il y en a des pleines d’espoir, il y en a des…

En fait, le point, c’est la claque, c’est-à-dire l’émotion. Mais après, c’est toutes les palettes, c’est tout l’arc-en-ciel. Et j’ai des gens qui réagissent assez rarement, mais quand même parfois avec violence, parce qu’ils ne veulent pas. Mais c’est très minoritaire. Ceux qui ne veulent pas ne viennent pas.

Heureusement pour moi, les gens qui viennent voir le film n’ont pas décidé de venir à 80%. On a fait 4500 projections en deux ans et demi, 600 débats, à 80%, c’est des scolaires qui viennent, collèges, lycées, universités, ils sont forcés par leurs profs. Ils n’ont pas envie d’être là.

Donc je pourrais avoir plein de ces gens qui seraient susceptibles de se mettre en colère. C’est assez rare. J’ai dû me prendre deux ou trois moments difficiles avec des jeunes qui étaient très en colère. Sur 600 débats, ce n’est pas beaucoup. Par contre, j’ai des adultes qui réagissent, en colère. Et donc, le film… On me prend et moi, parce qu’ils se sentent coupables. Et donc, il y a ce moment, juste après le film, de violence, de besoin d’en débattre. Ce n’est pas le bon mot, mais qui est en double sens. En tout cas, de se battre un peu parce qu’il y a un sursaut d’émotions. Et après, je vous le disais, c’est différentes tonalités.

Mais les jeunes ne se sentent jamais coupables. Les plus abattus, c’est les parents. Il y a de quoi. Les plus galvanisés, c’est soit les militants, soit les jeunes. Et après, entre, il y a de la tristesse, il y a du chagrin, il y a de la rage. Il y a l’envie de s’y mettre, en fait.

Vous me posiez la question de la réaction quant au film. Ça déclenche des émotions et que, en fait, c’était mon seul but. Honnêtement, je m’en fiche un peu de quelle forme elle a. Parce que c’est juste un indicateur sur le chemin, en fait, de la prise de conscience. Plus vous êtes loin de la prise de conscience, plus vous êtes en colère. Plus vous êtes en déni, plus vous êtes en colère. Plus vous êtes sur le chemin, plus vous êtes content. Enfin, voilà, vous voyez ce que je veux dire ? Donc, moi, la question, c’est que juste, il y ait cette émotion. Parce que je pense que ce qui nous plombe, c’est l’indifférence, en fait. Et c’est ça qui nous justifie qu’on soit claquemurés dans nos citadelles internes, en fait. C’est ce mur d’indifférence. Donc, c’est lui qu’il faut abattre, en fait.

Marie-Cécile : Effectivement, voir Bigger Than Us, c’est se prendre une claque. Est-ce qu’il faut une claque pour faire bouger les gens ? Ou est-ce que ça ne peut pas amener à encore plus de désespoir ?

La claque est-elle indispensable pour faire bouger les choses ?

Flore : Je ne crois pas que la jeunesse, aujourd’hui, ait besoin de mon film pour avoir une source de désespoir supplémentaire. Je pense que la santé mentale, finalement, c’est le sujet de ce film. En tout cas, … Et merci les grenouilles d’être d’accord. J’espère que vous les entendez. On a l’applaudimètre.

Donc, on est bien d’accord. Le problème, c’est la santé mentale. Et personne n’en parle, en fait. Et ça, ça rend fou. C’est-à-dire… C’est une chose d’être mal, mais c’est une autre d’être cerné de gens qui vous disent que tout va bien. Et ça, ça rend fou. Et c’est ça que j’entends beaucoup.

Après, j’espère que je n’ai précipité personne dans la dépression. Parce que c’est justement ça que j’essaie d’éviter. À nouveau, quand mon fils me pose la question « Maman, ça veut dire quoi ? La planète va mourir ? » Il est en train de démarrer son écoanxiété. Et il a 7 ans. Donc, heureusement, ce jour-là, je suis réveillée, j’entends la question et j’y réponds. Mais combien de fois on passe à côté de ça ? Et moi-même, combien de fois on n’est pas présent en fait.

Donc, si vous m’écoutez, que vous êtes parents, j’espère que les questions de vos enfants viennent vous chercher. Il y a quelque chose que j’ai toujours essayé de faire passer, c’est une espèce de vérité. Je ne sais pas si c’est le bon mot, mais en tout cas, une certaine lucidité. Mais par contre, de façon assez dictatoriale, je préfère que ça passe par moi que par les réseaux sociaux ou les écrans ou la télé.

Moi, je n’ai pas de télé chez moi. Je suis incapable de manier une télécommande. Mes enfants ont eu des téléphones et des smartphones tard, enfin, quatrième, troisième. Mais ça ne les a pas empêchés de se prendre la violence du monde. Mais voilà, j’espère juste que quand ils ont pris ces messages-là, eh bien, ils étaient préparés. Et notamment avec cette idée que ce n’est pas toute la vérité.

C’est pour ça que les livres ou les films ou les romans graphiques, les expos, les pièces de théâtre, tout est prétexte. Tout est prétexte à lancer une conversation. Et c’est ça, le sujet, aujourd’hui. Pour pas qu’on devienne tous complètement fous, il faut qu’on se mette à se parler et qu’on se dise qu’on a mal.

Marie-Cécile : Commencer par se parler, exprimer ses émotions, ses ressentis par rapport à ce qui se passe dans le monde, c’est déjà un premier pas. Et lors de la projection à Avignon, nous avons eu cette chance de pouvoir échanger après le film grâce au talent de facilitation de Lily Gros. Le film a été tourné dans sept pays, mais pas en France. Moi, qui suis très attachée aux actions sur les territoires, j’ai demandé à Flore s’il fallait obligatoirement aller au bout du monde pour changer les choses.

Faut-il obligatoirement aller au bout du monde pour changer les choses ?

Flore : C’est clair, c’est une vraie question, mais bien sûr que la réponse est non. Ça démarre en bas de chez vous, au pied de votre immeuble, dans votre propre famille, encore une fois, vos propres enfants, ou vos parents, ou des tontons, des tatas, des cousins qui ne vont pas bien.

Enfin, je veux dire, on est cernés. C’est un énorme écosystème, en fait, comme un corps. Le truc, c’est que moi, je voulais faire un film sur les jeunes qui changent la donne dans leur communauté. Et à l’époque, il n’y avait pas de Français. Et surtout, je voulais faire un film sur la jeunesse mondiale. Et la jeunesse mondiale, ce n’est pas moi qui ai inventé le chiffre, à 80%, elle habite hors d’Occident.

Donc, si vous voulez faire un film décent pour les extraterrestres, sur la jeunesse mondiale, et l’humanité, il faut sortir de la France, et de l’Europe, et de notre pensée très marquée quand même, ethnocentrée. Et puis, je voulais faire un film mondial. J’étais à peu près sûre que je n’aurais pas l’occasion de le finir, ou d’en faire un deuxième. Enfin, voilà, mes propres éco-anxiété s, ou en tout cas panique. Bon, ben, voilà, ce n’est pas vrai. Mais, je voulais que ce soit un film qui parle à tout le monde.

Et ces thématiques-là, effectivement, les combats, là où ils sont portés, sont paroxystiques, c’est-à-dire, c’est des situations dramatiques, on est dans l’abysse, voilà. Mais, bien sûr, chacune des thématiques, donc, il y a la pollution, il y a la question de la liberté de la presse, il y a la condition des femmes, il y a la question de l’énergie, il y a la question de la sécurité alimentaire, et surtout, il y a la question des réfugiés. Bon, ben, chacune de ces questions, elle est ici, bien sûr. Alors, nous, à doses gérables, à doses ok, on est encore dans notre confort.

Dans les pays dans lesquels nous sommes allés et ces personnes qui font quelque chose, on n’est plus du tout dans le confort, en fait. Et c’est juste une question de curseur pour aller montrer que, ben, même dans ces moments de grandes tragédies, il y a une option, en fait, qu’ils incarnent. Et le sous-texte, c’est est-ce qu’on va attendre d’être dans ce niveau de dégradation ou de catastrophe pour se mettre à bouger, ou est-ce qu’on va, peut-être, mettre en place quelque chose en nous qui va faire qu’on va se mettre à agir maintenant.

On est tellement accro à notre confort, on est tellement séduit par cette idée que on s’en sortira mieux que les autres, après moi, le déluge, l’individualisme, la séparation de tout en tout. Et puis maintenant, la technologie, voilà, que la technologie va ramener, voilà, puis que si c’est pas grave, une bonne petite dictature… Enfin, on se raconte tellement d’histoires pour ne pas avoir à se remettre en cause.

Finalement, j’ai l’impression que la vie ne fait que durcir l’épreuve. Et donc, soit on écoute maintenant, et voilà, soit on n’écoute pas, et l’épreuve, elle va revenir, et elle sera de plus en plus dramatique. Donc, malheureusement, j’ai l’impression que collectivement, il y a cette … C’est toujours la question du point de bascule, du tipping point, quand est-ce qu’on bifurque, quand est-ce qu’on bascule ?

Et à nouveau, c’est le rôle des auteurs, des journalistes, enfin, voilà, on fait tout ce qu’on peut pour alerter et essayer de prévenir tout le monde de bouger maintenant, parce que, enfin moi, il y a des gens pour lesquels j’ai peur, et moi aussi. Enfin, moi, je sais que j’ai vraiment, je pense, vu et presque embarqué en moi des leçons qui vont faire que j’aurais peut-être deux, trois réflexes. Mais, c’est même pas sûr, peut-être que je me raconte des histoires aussi.

Marie-Cécile : Sortir de son confort, arrêter de se raconter des histoires sur la réalité de ce qui est en train de se passer, c’est ce qu’ont fait les jeunes interrogés dans le documentaire. Mais c’était quoi le déclic qui a fait qu’ils sont passés à l’action ?

Quel déclic faut-il pour passer à l’action ?

Flore : Le déclic, c’est quelque chose de très universel. Il n’y a pas une question d’âge, ni de catégorie sociale, ni de revenus, ni de religion, ni rien qui protège de ça. Le déclic, c’est la perte. Le déclic, c’est l’humiliation peut-être même parfois la honte. On n’agit pas parce que on est humaniste, ou on a la religion qui dit que, ou on est du côté des sentiments. C’est de l’ego, ça. On agit parce qu’on veut s’en sortir. On agit parce qu’on n’est plus rien. On agit, c’est Mohamad qui dit, moi, j’agis pas pour sauver le monde, j’agis parce que je veux sortir de cette fatalité, en fait.

Donc, il faut être… Le point, c’est vraiment ce vécu de l’épreuve, en fait. Je parlais tout à l’heure de la perte, l’humiliation, la trahison, tout ce que vous voulez, toutes ces formes. Et la vérité, c’est que on a tous vécu ça. L’épreuve, c’est le truc le plus universel du monde. « La vie est une chute libr »e », disait Lao-Tseu. Tout le temps, on perd, on perd, on perd. On se ramasse. Ça se passe jamais comme on croit. Bien sûr, il y a plein de choses superbes. Mais ce que je veux dire, ces épreuves, on les vit, quoi.

La maladie, la perte de quelqu’un qu’on aime, la trahison, la déception, l’échec… Ça, c’est des épreuves universelles. Et voilà, moi, je reviens toujours là. La question, c’est qu’est-ce qu’on fait de ça ? Et eux, ils ont décidé que ça ne les emporterait pas. Alors, c’est ça, la question. Pourquoi eux ? Je pense qu’il y a un sursaut devant la mort. Et puis, c’est pas une étude scientifique, mais il y a probablement quelque chose qui est passé dans les gènes ou dans la culture. Souvent, les mamans, d’ailleurs, de ces gens-là, ont été des personnes courageuses, engagées, dans le don… Enfin, voilà, il y a quand même cette idée qu’il faut faire passer la vie avant tout, quoi.

Et étonnamment, dans les sept protagonistes, il y en a au moins quatre qui n’avaient pas de papa, quoi. Mais par contre qui avait des mamans extraordinaires. Et alors, c’est beaucoup de filles, mais… C’est pas une étude scientifique, mais moi, je peux juste vous dire ce que j’ai vu. Sur les lignes de front, il y a 80% de femmes. Alors, il paraît que le chiffre, c’est 66%. Moi, j’ai vu 80%. Mais, OK, 66% de femmes. Très bien.

Voilà. Il y a plein de raisons, peut-être qu’un scientifique expliquera ça un jour, mais c’est sûr, quoi. Et les hommes qui sont sur les lignes de front, du coup, c’est des sacrés mecs, quoi ! Parce qu’on ne va pas sur la ligne de front pour la gloriole. On ne va pas sur la ligne de front pour se faire mousser. Il n’y a que des coups à prendre, tout le monde s’en fiche. On vous traite de gros ringards, de naïfs.

Marie-Cécile : C’est se mettre en danger.

Flore : Oui, mais profondément ! Pour moi, le danger, ce n’est pas sauter d’une paroi avec un élastique, c’est de la gnognotte !

Se mettre en danger, c’est oser dire, moi, je pense ça. Et je ne suis pas d’accord. Et je pense que pour les garçons, c’est peut-être presque plus difficile que pour une fille. Parce qu’on attend tellement d’eux un certain nombre de choses, etc. Il y a tellement d’injonctions. Alors, les femmes aussi, je peux faire des heures sur les violences faites aux femmes, etc. Mais voilà, justement, pour essayer de faire avancer le truc, je pense qu’il y a une toxicité de la culture masculine. Ceux qui se trouvent aussi victimes de ça, c’est les hommes eux-mêmes. Je ne les excuse pas, mais j’élève un garçon, je vois bien ce qui se prend dans la figure. Comment vous faites ? Quand c’est hyper organisé comme ça ? Comment on déboulonne cette culture-là ? Ça prendra quelques générations.

Marie-Cécile : Ça va prendre effectivement du temps pour déconstruire tout ça. Le film a été tourné il y a 5 ans. A l’époque, Flore n’avait pas trouvé de jeunes figures militantes en France. Est-ce que ça a changé depuis ?

Est-ce que l’engagement en France est plus fort aujourd’hui ?

Flore : Je pense qu’effectivement, il y a quelques années, il n’y avait aucun intérêt pour ça. Grâce au travail exemplaire de certains collectifs, de Camille Etienne, de Youth for Climate, puis même des ONG qui ont des groupes de jeunes. Je pense à Amnesty ou le service civique, ce que fait Unis-cité, enfin voilà, Les Scouts, enfin. Je ne pense trahir personne en disant que les Scouts sont en train de se dire qu’il va falloir qu’ils changent parce qu’ils ne peuvent plus emmener les enfants en forêt. Parce que ce n’est plus possible de faire des feux, parce qu’il n’y a plus d’eau dans les rivières. Je veux dire, qui amène quoi, je n’en sais rien, mais je veux dire, tous ces gens-là qui s’occupent de jeunesse sont quand même obligés de s’emparer du sujet.

Donc ça, ça fait bouger les choses. J’avoue que le fait d’avoir eu le luxe de pouvoir aller partout dans le monde, trouver des personnes qui sont juste incroyables. Enfin, on parle de personnes qui ont changé leur constitution, changé des lois, créé des écoles, créé des groupes de presse, sauvé des vies. Enfin, on parle de gens qui font des choses juste incroyables et qui démarrent à 12 ans.

Effectivement, je peux dire aujourd’hui que je n’ai pas repéré en France quelqu’un qui fait ça. À part Camille. Mais c’est d’un autre ordre aussi. Mais on me pose souvent la question, on me dit, mais vous ne voudriez pas faire un Bigger than Us en France ? Et en fait, ça, ça serait un grand rêve de montrer que ce n’est pas nécessairement la victoire et l’amplitude de la victoire, mais que c’est un état d’esprit et qu’en fait, il y a plein de jeunes qui font plein de trucs, qui sont tout seuls et que le travail maintenant, c’est de les légitimer eux, en fait, pour que dans une cour de récré, dans une asso, dans une famille, ils arrêtent de se battre contre leur propre environnement. Déjà, ça économise 40% de l’énergie, je pense.

Marie-Cécile : Et des films comme Bigger than Us, ça permet de montrer que ces militants ne sont pas seuls parce que la réalité pour ces personnes qui s’engagent, c’est que beaucoup sont en burn-out. Comment faut-il faire pour l’éviter ?

Comment éviter le burn out des militant·es ?

C’est le monde qui est en burn-out, là. Il y a de quoi. Burn-out, c’est une dissonance. On dissone à plein tube. C’est normal qu’il y ait une épidémie de dissonances, donc de burn-out et ou de souffrances existentielles. Mais il y a aussi beaucoup de burn-out militants, parce que je pense que les gens ne s’engagent pas pour les bonnes raisons.

Et moi, je suis assez violente sur le sujet, mais je dis assez volontiers aux personnes, si vous vous engagez pour changer le monde, il ne faut pas essayer. Parce que ce n’est pas la bonne intention. Parce qu’en fait, vous ne le changerez pas. Ou en tout cas, vous ne le verrez pas. Et il faut faire ce deuil-là. Il faut vraiment faire le deuil de se dire, ça sert à quelque chose. Il faut faire le deuil de se dire, avec moi, ça va changer. Vous voyez tous ces trucs-là ?

Et c’est une déprogrammation en soi, parce que notre système et notre éducation, depuis le début, nous dit tout ce que tu dois faire doit être efficace. Si tu travailles, tu dois avoir des bonnes notes. Vous voyez ce que je veux dire ? La performance, action-réaction, input-output, ça doit être visible à l’œil nu tout le temps, tout le temps, tout le temps. Cette culture de la performance et de l’efficacité est un truc qui a été incorporé par les militants. Et donc, ils imaginent que parce qu’ils vont aller distribuer des tracts, tout à coup, ça va marcher. Et donc, ils sont comme des fous. Et ça ne marche pas. Et du coup, ils s’énervent, ils font encore plus.

Et moi, la première, je le fais… Je peux être épuisée aussi. Et c’est toujours à cause de ça. Parce que je ne lâche pas le fait qu’on fait ça par dignité, en fait. On fait ça par beauté du geste, par désir de se rencontrer. Regardez aujourd’hui ce jardin, ces crapauds, ils applaudissent moins quand même là. Mais vous voyez cette beauté-là, cette connexion, en fait. Et ce qui a gagné, c’est la connexion. Ce n’est pas l’efficacité. Et la connexion, les liens, ce n’est pas efficace. Mais c’est vrai qu’il faut savoir résister à toute cette culture de société qui est ultra-dominante. Ça ne sert à rien. Ben si ça sert à me sentir vivant. Et toi, ça va ? Oui ?

Donc, je pense que beaucoup de personnes qui sont en burn-out militant font ça parce qu’elles sont convaincues que parce qu’elles y vont, ça va changer les choses. Et là, je leur dis non. Et là, c’est de l’ego, en fait.

Et ça va vous piéger. Vous allez vous cramer. Et ça ne loupe pas. Dans les six mois, ils arrêtent. Et en plus, ils ont abîmé l’asso dans lequel ils sont rentrés. Parce qu’ils sont rentrés pour des mauvaises raisons. Moi, j’ai des assauts qui me disent, mais en fait, il y a un turnover incroyable et les gens en tiennent pas. Ils ne tiennent pas parce qu’ils ne viennent pas pour les bonnes raisons.

Donc, peut-être que ça, ça vient aussi un peu avec le temps. Je ne sais pas si vous savez, cette impétuosité de la jeunesse permet aussi de marquer des victoires comme ils l’ont marqué. Mais Memory n’était pas parti pour changer la constitution. Mais de posture viscérale face à l’épreuve, à chance d’une rencontre, de trucs, de machins, cinq ans plus tard, elle le fait. Mais bien sûr que quand elle démarre, elle ne se dit pas je vais changer la constitution. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est le cadeau Bonux, en fait. Et entre-temps, elle a vécu une énorme aventure. Mais voilà, tout le monde se retient. Pouf, elle a changé la constitution. Oui mais elle a vécu plein d’autres trucs aussi. Et puis, elle essaime…

Créer du lien, de la connexion, ça serait ça la clé de l’engagement réussi ?

Flore : En fait, la clé, c’est de se battre contre une croyance qui fait qu’on en est là. Souvent, on me dit vous êtes anticapitaliste, je n’ai rien à faire. Il y a quelque chose de bien plus fondamental que ça. C’est cette croyance de séparation sur laquelle le capitalisme est basé. Et cette idée que bien sûr, on serait, là on est bien placé, mais supérieur à la nature. C’est Descartes, 17ème siècle, « l’homme est supérieur à la nature, et les hommes peuvent s’en rendre maîtres et possesseurs ». Bon ben voilà, la messe est dite !

A partir de là, on a commencé à mettre des clôtures sur les chambres. On a commencé à vouloir tout faire à la nature, sans la respecter, tout lui piller, puisqu’on était maîtres et possesseurs. Et puis, on a voulu s’accaparer les terres des autres, et puis les femmes des autres, et puis les cultures des autres. Tout est là, dans cette idée de séparation, parce que on serait supérieurs.

Supérieurs aux autres, supérieurs au temps, supérieurs aux femmes, supérieurs aux jeunes, enfin, on peut tout inventer, quoi. Et donc, le capitalisme et l’individualisme qu’il sous-tend aussi est né de cette culture de séparation. Bon ben là, tout ce qu’on voit, c’est qu’on n’est pas séparés, en fait. Tout ce qu’on voit, c’est que la nature répond, qu’on est liés à elle, que si elle va mal, il n’y a aucune chance qu’on aille bien, que nous sommes liés les uns les autres.

Un petit virus a fait arrêter l’économie mondiale. On s’est rendu compte qu’il n’y avait rien qui protégeait contre ce virus. Enfin, je veux dire, il n’y avait rien. L’argent ne protégeait pas. Même si, c’est vrai que les conditions de vie des populations les plus précaires font que, bien sûr, le virus s’est bien plus propagé, mais néanmoins, l’épreuve de la pandémie est venue nous démontrer de façon magistrale combien nous étions liés.

Ben, on n’écoute pas. On s’en fout. On est revenus d’avant, à ce truc de séparation, parce qu’on veut encore avoir la dernière goutte du capitalisme et du confort et de tout ce que ça veut dire, de tout ça. Et pour moi, le vrai enseignement, ouais, c’est de dire qu’on est tous liés, que tout est lié tout le temps, tout le temps. Donc, effectivement, la connexion de tout en tout, y compris entre nous et d’abord entre nous, est fondamentale, ouais.

Et ça, ça donne de la joie. Parce qu’effectivement, quand vous êtes séparés, ah ouais, c’est vrai, vous pouvez être confortables. Mais qu’est-ce que vous vous ennuyez ? On est seuls, on va aller chercher des petites fébrilités, des petites oscillations de dopamine. Donc, les réseaux sociaux, la consommation, qui sont que des formes de drogue, en fait. Bah moi, je préfère d’autres trucs, quoi. Et je pense qu’il y a vraiment deux équipes, maintenant. Il y a ceux qui sont… qui s’accrochent à leur confort parce qu’ils se sentent sécurisés là-dedans, et à mon avis, c’est une erreur. Et ceux qui sont capables de choisir autre chose, de façon assez polarisée. Moi, j’appelle ça l’humanité donc on choisit l’un ou l’autre, mais il n’y a pas vraiment, je trouve, d’entre-deux, quoi, dans la vie. Il faut choisir son équipe, ouais.

Marie-Cécile : Donc, deux équipes. Celle qui s’accroche à son confort et celle qui choisit l’humanité. Mais il faut oser, quand même, sortir de ce confort pour se lancer et se mettre dans l’action ?

Confort ou humanité ?

Flore : Mais il n’y a pas à oser quoi que ce soit, de se lancer à imaginer, lancer, par exemple, une asso, ou même une action. Il faut faire les… Moi, je propose vraiment cette « méthode » confort ou humanité parce que c’est un arbitrage du quotidien toute la journée, en fait. Tout à l’heure, on arrive, on se retrouve ici, avant le déjeuner, je ne vous connaissais pas. Personne. Moi, j’arrive, 15 personnes, je ne connais pas.

Bon, ben,confort, je dis bonjour de loin, salut, je me mets dans mon coin, j’attends la salade et je me mets sur mon téléphone parce que ça m’angoisse d’être face à 15 inconnus.

Ou humanité, allez, on se fait la bise, qui fait quoi ? En fait, bon, ça, c’est dans les interactions, mais… Bientôt, il va y avoir les soldes. OK, j’achète un nouveau tee-shirt dont je n’ai pas besoin, sachant pertinemment que rien que sa fabrication a pété une famille, l’environnement, une rivière, machin, ou je me dis que ce que j’ai c’est déjà super. Je prends toujours cet exemple encore, mais j’ai un train à aller prendre, je cours, je passe devant la jeune femme migrante qui est en bas de chez moi et je trace sans lui dire bonjour, je m’arrête pour savoir comment elle se remet du décès de machin. Humanité.

Voilà, et c’est tout le temps. Et en fait, il faut démarrer comme ça. Il faut se dire dans mon… Là, maintenant, là, c’est vous qui êtes en train d’écouter le podcast, qu’est-ce que vous faites pour le reste de la journée où vous vous dites OK, il faut juste voir l’arbitrage. OK, là, si je réagis comme ça, c’est du confort, si je réagis comme ça, c’est de l’humanité. Et puis, il faut juste voir et puis progressivement essayer de choisir plus souvent l’humanité.

Moi, ça m’arrive pas toujours. Voilà. Il y a des jours, je suis pas là. Il y a des jours, je suis en colère. Il y a des jours… Voilà. Mais c’est vrai qu’une bonne journée, c’est une journée où, clairement, j’ai choisi plus l’humanité que le confort. Une bonne journée, ça sera jamais une journée de confort. Jamais, jamais, jamais, jamais. Je serai en colère contre moi.

Marie-Cécile : Et sept ans après la question de son fils qui a poussé Flore à sortir de ce confort pour partir réaliser ce documentaire, où en est-il par rapport à ses sujets maintenant qu’il a grandi ?

Et sept ans après la question de son fils, où en est-il par rapport à ses sujets ?

Flore : Ça bouge tous les jours. Il a 14 ans. C’est vraiment la zone de la mort, quoi. Enfin, je trouve que c’est horrible. Non, mais je l’aime. Je l’aime, je l’aime, je l’aime ! C’est une personne magnifique !

J’ai pas pu le protéger de la culture de société. J’ai beau avoir fait ce film, parler tous les jours à des élèves et des gens de son âge et les avoir devant moi et j’ai l’impression que je leur parle de choses plus profondes qu’à mon propre fils parce que effectivement je les vois qu’une fois et mon fils il m’accompagne dans cette vie-là depuis 14 ans donc il me connaît par cœur et il n’a pas besoin que je lui explique les choses enfin que je lui redise en tout cas.

Mais c’est vrai que j’ai vu à quel point la société était organisée pour mettre la main sur le cerveau et les aspirations de nos enfants. Et ça me désespère et moi-même je bataille contre ça avec mon propre enfant à essayer de lui montrer que dans la vie il y a autre chose que la prochaine paire de baskets et la prochaine commande Vinted et c’est une bataille au corps à corps de tous les jours.

La pression pour eux est très forte et puis c’est hyper bien d’organiser parce que c’est tellement un très bon business. C’est sûr que désactiver la jeunesse, tout le monde est d’accord, et les politiques s’en régalent aussi.

Je suis assez… Dans mon propre environnement d’amis que j’aime et avec lequel je pensais partager des valeurs. Il y a des gens qui ne comprennent pas que les étudiants se manifestent pour les enfants palestiniens et je me dis mais si c’est pas la jeunesse c’est qui ? Tu fais quoi toi ?

Mais heureusement en fait qu’il y a cet appétit de justice mais c’est vrai que c’est très… l’inverse est très très organisé parce que c’est vrai que si on commence vraiment à se poser la question non pas du profit mais de la justesse ou de la justice de nos vies, là je crois qu’on peut déclencher quelque chose mais malheureusement encore quelques épreuves pour accepter de se déprogrammer.

Marie-Cécile : C’est clairement une bataille de chaque jour pour sortir de ce système pour lequel nous avons été programmés. Après toutes ces années à défendre ce film et porter la parole de ces 7 jeunes au parcours très inspirants, quelle est la suite pour Flore ?

Les projets à venir de Flore Vasseur

Flore : Alors la suite il y a plein de choses je ne sais pas bien dans quel ordre je le dis mais bon chronologiquement si tout va bien à partir de septembre on va libérer le film en France et dans le monde pour tous les jeunes, alors hors milieu scolaire donc n’importe qui aura envie d’organiser une projection pourra avoir accès au film, pourra organiser une projection, aura un guide de modération, de facilitation pour une salle, etc. Donc ça c’est une première chose.

Deuxième chose 4500 projections, 600 débats rien qu’en France, moi ça fait deux ans et demi que je suis sur les routes, que j’ai une énorme conversation avec beaucoup d’enfants mais aussi des adultes, des chefs d’entreprise et quelques collectivités territoriales et élues, j’en ai tiré un livre qui sort début octobre et qui s’appelle « Et maintenant que faisons nous? », parce que c’est la question qu’on me pose à chaque fois et que c’est une question que je me pose quotidiennement.

Et dans la chronologiquement à partir de l’hiver prochain on repart auprès des protagonistes du film pour savoir ce qu’ils sont devenus et on va faire de ces retrouvailles un moment de partage du film avec leur propre communauté un moment où on va cranter les actions d’une association qu’on a créée de soutien de la jeunesse engagée et on commence par eux, donc ils sont 7 sur 7 thématiques différentes, avec des âges différents, des combats différents, des modalités d’action différentes donc c’est autant de micro soutiens qu’on peut porter.

Et on va filmer ce qu’ils sont devenus avec pour moi la possibilité de revenir avec une matière pour le sujet qui m’intéresse maintenant qui n’est plus seulement « pourquoi ou comment s’engager ? », parce que là franchement je crois qu’il n’y a plus besoin de personne pour dire que ça serait bien de s’y mettre, mais « comment tenir sur le long terme quand plus rien ne tient parce que ça je pense que c’est la question qui monte ».

Et ça se pose à moi oui mais de toute façon, ça c’est très juste on ne pose que des questions qu’on se pose à soi sinon ça sert à rien de faire des films. On va,.. enfin moi la première grande bénéficiaire de tout ça c’est quand même moi, parce que ils m’ont donné… enfin je pense à ce film quand mon fils me pose cette question je m’effondre en fait. C’est terrible pour une maman de voir que son fils se met à douter de la vie. Bon bah voilà, n’empêche qu’il n’y aurait pas eu cette question, il n’y aurait pas eu ce film.

Ce n’est pas un film, c’est cette rencontre magique de personnes que j’aime viscéralement qui sont rentrées dans ma vie, que j’ai envie d’aider, qui m’ont donné des recettes, que j’essaye de refiler maintenant. C’est cette énergie là qui est, c’est cet élan que je suis très heureuse d’avoir. Et cet élan effectivement il me pose il me dit va falloir aller chercher d’autres sources, les bons sentiments et la solarité ne vont pas suffire.

Marie-Cécile : Et pour conclure est-ce que Flore avait anticipé l’impact que tout ce travail le documentaire et ce qu’elle avait publié avant allait avoir sur sa vie ?

L’impact de tout ce travail sur la vie de Flore

Flore : Il y a des choses que j’ai vraiment profondément raté il y a des choses que j’ai pas faites mais ce qui a pu voir le jour est passé au travers d’une série de tamis qui font que ces œuvres là, ces travaux là -moins prétentieux – me construisent ils me définissent. Donc c’est impossible de les renier, c’est comme un enfant…enfin c’est pas comme un enfant : mes enfants c’est mes enfants … mais je veux dire par là que c’est un bout de vous.

Et en même temps c’est un bout de nous, j’espère. Et c’est vrai que quand on disait tout à l’heure tout est lié, dans mon travail aussi tout se répond. J’adore cette phrase qui dit que – je ne sais pas qui l’a sortie, je sais même pas si ce n’est pas de moi – « tout travail est le brouillon du truc d’après ».

Et en fait je me le dis depuis longtemps mais, j’avais du mal à l’intégrer parce que ça fait longtemps qu’à chaque fois que je fais un truc je me dis » ah non mais là je peux pas faire plus », « là je peux pas aller plus loin ». Snowden je peux pas faire plus, Bigger je peux pas faire plus.

Ben maintenant je me dis « tu sais quoi si, donc c’est le brouillon de quoi maintenant ? »

Marie-Cécile : C’est un beau brouillon !

Flore : C’est un chouette brouillon ! C’est super parce qu’en fait ce truc de jamais se sentir arriver, j’adore en fait ! Et maintenant, c’est pas tous les jours facile à vivre, très nettement j’ai mes moments d’effondrement. Je crois que je suis en train d’en sortir d’un qui a été bien tapé. Mais ces moments d’effondrement sont hyper fertiles.

C’est là où les vraies questions sortent. C’est là où les trucs affleurent, sinon c’était la maîtrise et le confort aussi. Il faut se méfier de son confort y compris et surtout… enfin dans tout, tout le temps, les relations, tout mais aussi quand on fait ce métier là,si c’est trop confortable il ne faut pas y aller !

Conclusion de l’épisode

Marie-Cécile : voilà cette interview est terminée je peux vous assurer que j’en suis sortie avec un grand sourire et une sacrée énergie un grand merci à Flore d’avoir pris ce temps avec moi un temps précieux qui a laissé la place à une vraie connexion.

Merci aussi à vous de l’avoir écouté jusqu’au bout. Depuis l’enregistrement, j’ai principalement gardé en tête une phrase « Ce qui est à gagner, c’est la connexion, ce n’est pas l’efficacité. Il faut savoir résister à toute cette culture de société du ‘oui mais ça ne sert à rien » Et je vais essayer de la mettre en pratique dans mon quotidien mais ce n’est pas toujours facile.

Toutes les références citées par Flore lors de l’interview sont à retrouver sur mon blog. L’épisode est entièrement retranscrit et disponible en version sous-titrée sur Youtube pour les malentendants.

Si vous ne l’avez pas encore vu allez voir Bigger Than Us ou écoutez les podcasts qui en découlent, ne manquez pas la sortie du livre en octobre et surtout échangez avec vos proches et vos enfants. Agissez à votre manière, vous l’avez compris, vous n’avez pas besoin d’aller au bout du monde pour ça ni de faire des actions extraordinaires. Il y a énormément d’associations dans le Vaucluse et sur tous les territoires qui agissent dans bien des domaines.

Je voulais aussi remercier toutes les personnes qui ont organisé ces projections à Avignon et qui font partie du collectif #EtSiCTToi? parce que ça a été un sacré travail.

Un merci particulier à Véronique Marguet qui a croqué mes échanges avec Flore pendant l’interview, rendez-vous sur mon blog pour voir sa magnifique planche.

Et enfin merci à Yann Bargh-Dimier pour ses superbes photos prises sur le vif.

Je crois qu’il est temps de vous laisser méditer sur tout ce qui a été dit dans cette interview. De mon côté je retourne monter mon prochain épisode et je vous dis à bientôt je l’espère luette évidemment !