Nouvel chronique « Paris-Avignon, 5 minutes d’arrêt » avec Karine Ventalon. Enregistrée juste après l’annonce du couvre-feu, en période de flou artistique, il ne reste plus qu’une chose à faire : y croire. Et pourquoi pas tenter de conjurer le mauvais sort de toutes les manières possibles ?
Ironie du sort, novembre est le mois d’Halloween. C’est pourquoi Karine a décidé de parler du thème des superstitions théâtrales. Certains y croient dur comme fer, d’autres pas du tout. Mais au vu de la conjoncture actuelle, autant ne pas provoquer d’avatange le destin.
Bonne écoute !
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Bonjour à tous, Karine Ventalon, je suis ravie de vous retrouver pour cette deuxième chronique théâtrale et je suis très contente de maintenir ce lien avec vous à travers cette période particulière. En effet, vous le savez, c’est de plus pour les arts vivants ces dernières semaines avec l’application du couvre-feu. Beaucoup d’annulations de pièces de théâtre, au mieux des reports éventuels à des dates ultérieures, oui mais quand ?
Et les artistes seront t-il encore disponibles dans 6 mois,1 ans, 2 ans ? Bref … Beaucoup d’interrogations auxquelles personne ne peut prétendre répondre aujourd’hui. A travers ce flou artistique donc, il ne nous reste plus qu’une seule chose : y croire et pourquoi pas tenter de conjurer le mauvais sort de toutes les manières possibles ? Ironie du sort, nous sommes en plus en pleine période d’Halloween ! C’est pourquoi j’ai décidé d’évoquer avec vous le thème des superstitions théâtrales. Certains y croient dur comme fer, d’autres mais alors pas du tout. Mais au vue de la conjoncture actuelle, ma foi, autant ne pas provoquer d’avantage le destin.
[musique]
On commence tout de suite avec les mots interdits … oulala ça fait peur ! Premièrement dire « bonne chance ». En effet cela porte malheur de souhaiter « bonne chance » à un acteur ou un membre de la production. Au lieu de cela, pour éviter un désastre, le mot le plus utilisé est tout simplement « merde ». Cette expression daterait de l’époque où les spectateurs se faisaient déposer en calèche devant l’entrée. Halte au cours de laquelle les chevaux ne manquaient pas de garnir de leurs crottins le parvis du théâtre. Cette garniture étant directement proportionnelle au nombre de spectateurs, c’était faire preuve de bienveillance que de souhaiter beaucoup de merde aux artistes. D’ailleurs personne ne doit répondre « merci » mais « je prends » afin, là encore, de ne pas se porter malheur. Attention le mot maudit : C O R D E, « corde ».
Plusieurs explications : la plus connue est que cette croyance insolite aurait été directement importée du milieu de la marine où la corde était considérée comme un instrument de supplice. En effet, il fut une période où beaucoup de machinistes de théâtre étaient d’anciens marins reconvertis. La transmission de la superstition a donc dû se faire dans le passage d’un milieu à un autre. Mais elle réfère aussi à ces comédiens, à bout de misère ou d’insuccès, retrouvés pendus, au matin, dans le théâtre. Une autre explication serait celle de l’incendie. Dans les théâtres éclairés aux bougies sur de gigantesques chandeliers, le risque d’incendie était fréquent. La corde désignait alors le moyen de libérer des quantités d’eau retenue dans les réservoirs afin de pouvoir éteindre le feu. Cette eau étant croupissante et donc fortement odorante, il convenait de ne tirer sur la corde que si cela était vraiment nécessaire. Autre mot à ne pas dire : le nom de « Macbeth ». Surtout ne prononcez pas le nom de la célèbre pièce de Shakespeare : La légende raconte que la pièce est réputée maudite. Ainsi les acteurs évitent de prononcer son titre mais lui préfèrent des expressions dérivées comme : « The scottish play », « la pièce écossaise » ou bien « Ms & Mr M » afin qu’il ne leur arrive pas des malheurs. Il paraîtrait que la pièce n’a jamais été mise en scène sans qu’aucun des acteurs ne soit mort ou sérieusement blessé pendant le spectacle. Il n’y a aucune preuve objective créditant ou démentant cette superstition. Toutefois il est intéressant de préciser que la pièce inclut davantage de scènes de combat que dans les autres pièces de Shakespeare, donc plus d’occasions de se blesser aussi. Autre possibilité de réponse à cette superstition, Macbeth étant une pièce très populaire, elle était généralement programmer par des théâtres en déséquilibre budgétaire ou encore que les coûts de production élevés de la pièce mettaient le théâtre dans l’ennui financier.
Après les mots interdits, voici la couleur porte-malheur. Ne pas portez de vert sur scène. Cette couleur serait associée à l’instabilité. Cette idée remontrait au 16e siècle. A cette époque la teinture verte était quasiment impossible à obtenir car elle ne tenait pas sur les vêtements. Pour contrer à ce problème, on procédait à des mélanges parfois toxiques. On utilisait notamment de l’oxyde de cuivre ou du cyanure provoquant la mort de beaucoup de comédiens qui portaient un costume vert sur scène. Enfin selon une légende Molière aurait porté du vert lorsqu’il joua pour la dernière fois « Le malade imaginaire » le 17 février 1673. Il serait d’ailleurs mort sur scène. A noter que si la couleur verte est réputée maléfique en France, au Royaume-Uni, en plus du vert, l’autre couleur porte-malheur c’est le bleu, qui paraissait noir à la lueur des bougies. En Italie c’est le violet et en Espagne, le jaune. Dans ce dernier cas, l’explication vient de la tauromachie. La cape du Torero étant lie-de-vin à l’extérieur et jaune à l’intérieur, si le Torero est encorné, la dernière couleur qu’il verra sera le jaune.
Passons à présent aux actions prohibées : ne jamais siffler sur scène ou en coulisse, s’il vous plaît ! D’une part on prétend que cela attire les sifflets du public et d’autre part cette superstition tiendrait son origine lointaine de la marine car, comme nous l’avons évoqué précédemment, les régisseurs de théâtre étaient souvent recrutés dans le milieu naval, ils avaient donc gardé l’habitude de communiquer par sifflements codés pour se prévenir des changements de décor. Donc un comédien sifflant sur scène où en coulisse risquait alors de semer la confusion dans le bon déroulement technique du spectacle. Une autre explication viendrait de l’époque de l’éclairage au gaz. L’allumage des rampes se faisait par la veilleuse constamment allumée. Si la flamme était éteinte, le gaz s’échappait et il y avait un risque d’explosion. L’échappement libre du gaz produisait un sifflement très caractéristique d’où l’interdiction de siffler dans un théâtre.
Autre action : poser son chapeau là où il ne faut pas. Si vous êtes comédienne ou comédien, ne vous risquez pas à poser votre chapeau sur le canapé de la loge ou sur le lit du décor, vous vous êtes attireriez les foudres des superstitieux qui y verraient un sinistre présage ! Pourquoi ? (rires) Parce qu’autrefois, les médecins appelés dans des situations extrêmes avaient l’habitude de poser leur chapeau sur le lit du mourant. A éviter également : se croiser sur le plateau. On appelle cela faire les ciseaux au même titre que croiser ses couverts dans l’assiette porte malheur, deux acteurs qui se croisent dans une mise en scène est vecteur de mauvais sort ! Allez savoir pourquoi ? Parfois les superstitions semblent dénuées de sens. Mais n’est-ce pas le propre des superstitions finalement, avoir un petit goût d’absurdité ! Enfin, et pas des moindres, ne jamais, au grand jamais, offrir d’oeillets aux artistes. Et là attention c’est très sérieux, je parle en tant que comédienne : recevoir un bouquet d’oeillets peut être très mal pris. En revanche les roses sont très appréciées. L’origine de cette tradition vient de l’époque où les théâtres avaient encore des acteurs permanents. Le directeur offrait un bouquet de roses aux comédiennes dont le contrat était renouvelé. Toutefois, pour ne pas faire de dépenses inutiles, celles qui étaient renvoyées recevaient un bouquet d’oeillets, fleurs les moins onéreuses du marché. A noter qu’au Royaume-Uni on ne doit jamais donner aucune fleur avant la représentation. Il faut attendre la fin de la pièce. Voilà, maintenant nous en savons davantage sur les superstitions théâtrales. A nous de les mettre en pratique, ou pas, afin de préserver ce qui peut encore l’être côté théâtre en cette fin d’année 2020.
Je vous souhaite une belle journée pleine de roses et je vous dis à tous un gros merde ! Prenez bien soin de vous et vive le théâtre !