Charlotte Trossat - Local en bocal, la conserverie artisanale où l'anti-gaspi devient gourmand & solidaire - sur Esperluette à l'écoute du Vaucluse

Charlotte Trossat – Local en bocal – Conserverie artisanale engagée

Rencontre avec Charlotte Trossat, créatrice de Local en bocal, une conserverie artisanale engagée contre le gaspillage alimentaire. Charlotte et son équipe transforment avec passion des fruits et légumes bio, locaux, dits « moches » pour en faire des conserves (soupes, compotes, tartinades…) qui sont de pures merveilles !

Dans cet épisode, avec Charlotte nous avons parlé de :

  • L’anti-gaspi gourmand : Comment Local en bocal donne une seconde vie aux légumes délaissés par la grande distribution, comme ces 300 tonnes de carottes jetées chaque année par un producteur partenaire.
  • L’artisanat et la qualité : Un processus de transformation qui demande beaucoup de main d’œuvre et de temps de travail & des recettes sans additifs pour garder toutes les saveurs des fruits et légumes.
  • L’insertion professionnelle : Local en Bocal est une SIAE (Structures de l’Insertion par l’Activité Économique) Une entreprise qui emploie et accompagne des personnes éloignées de l’emploi, avec un vrai impact social.
  • Les défis d’une entreprise engagée : Comment concilier rentabilité, éthique et bien-être au travail.
Quelques produits Local en Bocal
Gaspacho de Betterave Local en Bocal
Charlotte Trossat, créatrice de Local en Bocal

Pour aller plus loin :

Retrouvez Local en Bocal et ses délicieuses conserves sur son site internet ou sur les réseaux sociaux Instagram & Facebook.

Références citées dans l’épisode :

  • Chocolaterie Castelain
  • Florence Manaud
  • Atelier Réan
  • Clémentine Marot
  • Réseau Entreprendre : Organisme d’accompagnement des entrepreneurs.
  • France Active : Réseau de financement solidaire.
  • ARIA

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Marie-Cécile Drécourt - production de podcast à Avignon, Carpentras, Vaucluse, Monteux, Orange. Credit Photo : Audrey Papadopoulos

Produit par Marie-Cécile Drécourt

Productrice des podcasts Esperluette à l’écoute du Vaucluse & Esperluette en Mode Festival depuis 2018 avec 20 ans d’expérience en communication, je crée également des podcasts en marque blanche pour les entreprises, associations et indépendant·es et j’accompagne celles & ceux qui souhaitent créer leur podcast pour leur apprendre à le faire en toute autonomie.

Pour les malentendant·es, les épisodes sont entièrement retranscrits ci-dessous :

Merci à Autoscript qui me permet de faire toute la retranscription de mes épisodes

Présentation Charlotte Trossat & de Local en Bacal

Je suis Charlotte Trossat et je suis la créatrice et la gérante d’une société qui s’appelle Local en bocal sur Avignon. C’est une conserverie artisanale bio. On fait un métier qui est quand même plutôt traditionnel, c’est le fait de mettre en bocaux des légumes pendant leur saison de production. Donc par exemple, on va faire des coulis de tomates pendant la saison de la tomate, des soupes de courgettes et autres produits que l’on met en bocaux et qui seront ensuite stockés et consommés toute l’année.

Ça, c’est un process assez classique. Ce qui fait l’originalité de Local en bocal, c’est qu’on achète exclusivement des légumes locaux. Tous les producteurs avec qui on travaille sont à une trentaine de kilomètres d’Avignon. On se permet d’aller jusqu’à 150, mais voilà, c’est notre limite maximum. Et aussi, on a vraiment développé un savoir-faire autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire et la valorisation des invendus des producteurs.

Un producteur peut jeter 300 tonnes de carottes par an

Marie-Cécile : Oui, en fait, c’est des légumes et des fruits qui sont un peu biscornus, c’est ça ?

Charlotte : Oui, c’est ça. Il y a des gens qui disent les légumes moches. En fait, aujourd’hui, les consommateurs ont été habitués par la distribution à avoir des légumes calibrés, bien droits, sans défaut d’aspect, pas de tâches, etc. Vous vous doutez bien que dans la nature, ça ne se passe pas exactement comme ça. Et les agriculteurs, en particulier ceux qui vendent sur les circuits longs, donc dans des circuits de distribution avec des grossisses ou des plateformes, etc., ils sont soumis à ces calibres et ces aspects, et donc ils ont pas mal de légumes sur les bras. Et en fait, il faut savoir qu’il y a des producteurs qui jettent malheureusement beaucoup parce qu’ils n’ont pas de débouchés.

Marie-Cécile : Et pour ces fruits et ces légumes, donc nous, on n’achète quasiment que ça. Effectivement, une carotte, ça ne pousse pas. Enfin, en tout cas, qui a déjà fait pousser une carotte dans son jardin sait qu’elle ne pousse pas tout droit.

Charlotte : Alors, sur les carottes, c’est particulièrement vrai, puisque selon, en particulier, le sol et les conditions climatiques, elles peuvent pousser vraiment de façon biscornue, voire double, triple. Et donc, il y a vraiment beaucoup d’écarts sur la carotte. Je peux citer un chiffre, c’est un producteur de carottes que je connais bien qui m’a dit un jour jeter 300 tonnes de carottes par an. C’est énorme !

Marie-Cécile : Au final, c’est de la nourriture qu’on n’utilisait pas avant. Ça t’est venu d’où, cette idée ? Qu’est-ce que tu faisais avant ?

Les débuts de Local en bocal

Charlotte : Alors, moi, je suis ingénieure agronome. J’ai toujours été proche du monde agricole de par mon goût, déjà, depuis gamine, et puis par mes expériences professionnelles antérieures. J’étais plutôt dans le domaine de l’environnement. Et en fait, j’ai eu envie de créer cette entreprise il y a à peu près 12 ans. J’avais envie de me lancer dans ma propre entreprise.

Et mon beau-frère, lui, est maraîcher bio à Barbentane. Et un jour, presque comme ça, sur un coup de tête, on s’est dit que ça serait chouette de créer un atelier de transformation pour les légumes de sa ferme en particulier. Donc, on a commencé à dessiner les premières lignes de Local en bocal.

Au final, évidemment, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Il n’a pas particulièrement suivi, lui. Mais moi, j’ai gardé ce cap-là. En tout cas, de transformer des fruits et légumes bio et locaux. Et les légumes tordus, c’est arrivé un peu… Enfin, c’est arrivé tout de suite, d’ailleurs. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’écarts de tri dans les fermes. Mais je n’étais pas sûre de pouvoir transformer uniquement ça au début. Donc, j’ai attendu un peu de voir comment ça se passait. Et en fait, on a… Finalement, j’ai vu qu’il y avait effectivement du volume, vraiment du volume. On est dans une grosse région de production.

Et donc, on a développé un savoir-faire autour de ça. Parce que c’est quand même un peu particulier. Déjà, évidemment, on travaille en saison. Donc, on est tributaire de la météo, de la façon dont poussent les légumes, du marché. Parce que, par exemple, sur Avignon, en cœur d’été, les Avignonnais sont en vacances. Et donc, les producteurs ultra locaux se retrouvent avec trop de marchandises. Ou alors, on peut avoir des périodes où les courgettes poussent, poussent, poussent, poussent. Parce que les conditions climatiques sont idéales.

Mais les consommateurs ne mangent pas plus de courgettes pour autant. Donc, il va y avoir des surplus en quantité. Donc, nous, il faut qu’on soit suffisamment souple pour répondre aux demandes des agriculteurs. Tout en suivant nos propres besoins de production. Parce qu’on a quand même des volumes à produire. Pour chaque recette, etc. Donc, ça nécessite une grande souplesse de planning, ça c’est sûr.

Et par ailleurs, on a les légumes moches, c’est génial. C’est un peu moins cher à l’achat. En revanche, c’est beaucoup plus cher in fine. Parce que, pas du tout mécanisable. Donc, en fait, ça demande beaucoup de main-d’œuvre. Et on passe beaucoup, beaucoup de temps à éplucher, nettoyer, trier, etc. Donc, les gens me disent souvent, ah, mais vous devriez avoir des produits moins chers. Mais en fait, le problème, c’est qu’on y passe beaucoup de temps.

Un travail physique qui demande beaucoup de main d’œuvre

Marie-Cécile : Ça veut dire que toi, derrière, t’as beaucoup de main-d’œuvre pour pouvoir gérer tout ça ?

Charlotte : Oui, on est beaucoup. Et même un peu trop, malheureusement. Le constat, c’est que nos concurrents sur la conserve sont des concurrents qui sont en général beaucoup, beaucoup, beaucoup plus automatisés que nous. Nous, on fait tout très manuellement. On a grandi, mais on est resté petit dans notre process. On est très artisanal. D’ailleurs, ça fait partie de nos enjeux. On doit optimiser un peu plus la productivité de notre entreprise.

En particulier parce que mes salariés souffrent. C’est physiquement difficile. On manipule beaucoup de volume. Mais en effet, les carottes tordues, le fait qu’elles soient tordues ne me dérange pas parce qu’en général, on les met en soupe. Donc, ce n’est pas du tout gênant.

En revanche, elles peuvent être du coup plus sales parce qu’entre deux brins, il peut y avoir de la terre. Et la terre, c’est notre ennemi. Donc, il faut écarter les brins, nettoyer. Quand il y a des trous, quand les légumes sont un peu cassés, eh bien, il y a de la terre dedans. Donc, en fait, ça nécessite d’enlever cette terre, de mettre un coup de couteau. Et ça prend du temps.

Le process de production de Local en Bocal

Marie-Cécile : On est au mois d’avril. Qu’est-ce que vous êtes en train de produire en ce moment ?

Charlotte : En ce moment, il n’y a pas beaucoup de légumes. C’est le début des courgettes. Donc, on a un petit peu de courgettes qui commencent tout juste. Mais on est encore, nous, en période creuse. Et donc, on fait beaucoup du pois chiche.

Marie-Cécile : Prenons la courgette. Comment ça se passe ? C’est un producteur qui t’appelle, qui dit j’ai un surplus ou j’ai quelque chose à te vendre , est-ce que tu prends, est-ce que tu ne prends pas ? Et après, jusqu’à la mise en bouteille, est-ce que tu peux expliquer la production d’un produit ?

Charlotte : Alors, pour les achats, il y a deux solutions possibles. Soit c’est nous qui avons besoin de faire de la soupe de courgettes. Et à ce moment-là, j’appelle les producteurs avec qui on travaille habituellement. Et je vois qui en a en écart de tri disponible tout de suite. Soit c’est eux qui m’appellent en me disant là, en ce moment, c’est les courgettes mal pollinisées. Elles sont plus petites, elles sont pointues. Pas très vendables sur le marché traditionnel. Mais par contre, elles sont tout à fait bonnes.

Donc, les producteurs peuvent m’appeler comme ça. Je planifie. Je planifie mes journées de production. Moi, j’ai des quantités quand même qui sont obligatoires. Enfin, il faut que ça corresponde à des batchs de production. Donc, je leur dis, ok, merci de me livrer, je ne sais pas moi, une tonne de courgettes pour vendredi prochain.

Et ensuite, le process, c’est dans les grandes lignes. Déjà, on va éplucher l’oignon qu’on va faire rissoler dans de l’huile d’olive, un peu comme à la maison. On va mettre nos épices. Donc, on va faire une espèce de condiment huile, oignon, épices. Ensuite, on fait cuire les légumes dans l’eau. On va les passer dans un tamis pour enlever les… On n’épluche pas en général, nous.

On lave, bien entendu, mais on n’épluche pas. On passe ensuite, par contre, dans un tamis après cuisson, ce qui permet de laisser de côté quand même les pépins, les bouts un peu durs de peau, les petites rognons qui peuvent rester. Donc, on a maintenant une purée de légumes qu’on va mélanger soigneusement avec notre purée de condiments.

Et puis, voilà, on a une doseuse avec quelqu’un qui remplit les bouteilles, une capsuleuse pour fermer les bouteilles avec un jet de vapeur. Et ensuite, les produits sont passés dans un autoclave. Donc, c’est comme une grosse cocotte minute qui permet de stériliser ou de pasteuriser les produits. Et c’est grâce à ça que les produits sont stables à température ambiante pendant trois ans. On ne met pas du tout d’additif, les gens me demandent. Mais en fait, ce qui stabilise le produit, c’est vraiment la température. Comme quand vous faites un bocal à la maison que vous passez à la cocotte minute, c’est le même principe.

Marie-Cécile : Oui, donc c’est possible d’acheter des produits avec des légumes, sans conservateur dedans. Et justement, qui garde tous les principes des légumes comme on le fait à la maison.

Une gamme de produits sans conservateur

Charlotte : Oui, tout à fait. Alors, le problème de la stérilisation par rapport à du frais, c’est que comme on chauffe fort et longtemps, ce n’est pas évident de faire de la bonne conserve parce que la cuisson longue change pas mal le goût. Donc, nous, on travaille nos recettes vraiment en fonction de ça pour faire de bons produits. Et puis, je pense qu’au niveau des apports nutritionnels, etc., c’est un petit peu moins bien que du frais, bien entendu. En revanche, il n’y a pas du tout d’additif. Donc, on ne met aucun conservateur, pas d’émulsifiant, pas d’épaississant, rien.

Marie-Cécile : Et alors, dans la gamme de produits, il y a quoi ? Là, on a parlé des soupes.

Charlotte : Oui, alors on fait des soupes. On fait pas mal de soupes. Encore aujourd’hui, ça reste notre premier produit. On fait des sauces, on fait du coulis de tomates, on fait des tartinades pour l’apéritif, du houmous, du caviar d’aubergine, une gamme de tartinades.

On fait des compotes, principalement pommes et poires, mais un petit peu d’autres fruits. Qu’est-ce qu’on fait d’autre ? Des préparations pour ta boulet. Ça, c’est sympa. Beaucoup de pois chiches en période creuse. C’est très chouette, du pois chiche du sud-est, de l’Afrique. Des lentilles cuisinées, du petit épeautre cuisiné, des pickles. Ça, c’est assez nouveau, mais on en fait beaucoup en ce moment, surtout pour une cliente. Piquage de concombre, d’oignon, de chou. C’est très sympa.

Marie-Cécile : : Oui, parce que tu m’expliquais aussi qu’il y a votre marque, qu’on retrouve dans les magasins bio, mais il y a aussi le fait que vous pouvez faire des produits pour les agriculteurs eux-mêmes, pour qu’après, ils puissent vendre leur propre production transformée à leurs clients.

Charlotte : Oui, on a plusieurs typologies de clients. Notre marque représente la moitié du chiffre d’affaires, à peu près. Donc, cette marque, elle est distribuée dans les magasins bio. Après, on travaille pour les agriculteurs. C’est ce qu’on appelle le travail à façon. Donc, ils nous amènent leurs légumes, on les cuisine et ils les vendent ensuite à la ferme, au marché ou dans leur circuit à eux. Et puis après, on travaille aussi pour le compte d’autres marques, plus ou moins grosses, pour qui on va faire des produits. Donc, on étiquette à la marque de l’entreprise.

Marie-Cécile : On ne sait pas forcément, mais quasiment tous les gros producteurs font des marques blanches, ce qu’on appelle des marques blanches.

Charlotte : Pas tous, mais c’est vrai que quand on a une usine, une usine de production, il faut qu’elle tourne tous les jours. Et le fait de faire de la marque blanche, ça permet de faire tourner l’atelier. Et même, il y a des conserveries qui n’ont même pas de marque, en fait, qui travaillent exclusivement pour d’autres marques.

Local en Bocal est aussi une Structure d’Insertion par l’Activité Économique

Marie-Cécile : Et alors, derrière tout ça, il y a de la main d’œuvre. Tu as aussi, par rapport à ça, un engagement fort, les gens que tu embauches. Qu’est-ce qu’il y a de particulier dans tes équipes ?

Charlotte : Oh, ben rien. (rires) On a une super équipe. On est 17 personnes et parmi ces 17, il y a certaines personnes qui sont en contrat d’insertion. Insertion par l’activité l’activité économique. C’est des personnes qui, à la base, sont éloignées de l’emploi pour… Ça peut être plein de raisons différentes. Ça peut être des raisons de langue. Ça peut être des jeunes des quartiers qui ont du mal à trouver du boulot. Ça peut être, au contraire, des seniors qui ont du mal à trouver du boulot. Des femmes seules avec enfants. Des gens qui ont eu un accident de vie. Une hospitalisation longue. Un parcours même de prison, de rue. Peu importe les raisons. Autant de raisons qui font que le retour à l’emploi est complexe. Qu’on a du mal à trouver du boulot.

Et donc, nous, on fait partie de ce régime. Le réseau qu’on appelle les SIAE, les Structures d’Insertion par l’Activité Économique. Sauf que nous, on est quand même presque la vraie vie. On est une entreprise classique. On ne fait pas de distinction, d’ailleurs, entre les personnes. La différence, c’est qu’ils sont accompagnés par une accompagnatrice socio-professionnelle pour travailler sur leurs projets professionnels et pour régler un peu leurs problèmes, s’ils en ont encore. Ce qu’on appelle lever les freins. Donc, si c’est la langue, il faut prendre des cours de français. S’il y a un problème de mobilité, passer le permis. S’il y a plein de… plein de sujets administratifs aussi, beaucoup. Ils sont accompagnés. Ça peut être… En moyenne, chez nous, les gens restent un an. Mais ça peut aller jusqu’à deux ans de contrat d’insertion.

Marie-Cécile : Tu as fait ça dès le départ d’avoir des personnes en insertion quand tu as créé la boîte ?

Charlotte : Oui et non. Enfin, non, pas du tout de façon officielle. Puisque ça, ça fait seulement trois ans qu’on a l’agrément d’État. C’est un agrément qui est donné par la dette. Au début, il y a eu des salariés qui avaient leur lot de difficultés qu’on a essayé d’accompagner du mieux possible. Et il y en a certains qui font d’ailleurs toujours partie de l’équipe et c’est génial.

Mais c’est vrai qu’à un moment, j’ai recruté deux personnes qui arrivaient d’Afghanistan en CDI et toutes les deux avaient déjà des… Enfin, la lourdeur administrative française, déjà, c’est un obstacle en soi. Des problèmes de langue, des problèmes de logement, des problèmes de santé, parfois même un peu de traumatisme post-migratoire. Parce qu’en fait, c’est des gens qui ont des parcours de vie assez hallucinants. Enfin, qui ont vécu des trucs d’une dureté qu’on n’imagine même pas.

Et une fois installés avec un métier, une équipe, parfois, il y a un coup de barre qui arrive. Donc voilà, il a fallu accompagner ces deux jeunes hommes. Et là, je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout à la hauteur. Oui, c’est un métier. Ah bah oui, c’est un métier. Il faut connaître tous les organismes sociaux qui sont capables de les accompagner. Et puis moi, je n’ai pas de temps. Enfin, je suis chef d’entreprise. Et donc, voilà, ça a cheminé et on est devenus comme ça, entreprise d’insertion, pour pouvoir avoir une accompagnatrice. Une entreprise socioprofessionnelle dont c’est le métier et qui peut accompagner les gens de façon bien plus professionnelle.

Marie-Cécile : Moi, je sens dans tout ce que tu racontes et par rapport aux légumes que tu transformes, à ce que tu as envie de faire, les produits, et puis avec tes équipes, il y a énormément d’engagement. Mais tu me dis que vous êtes 17, donc ça veut dire que vous n’êtes pas très nombreux. Ça doit demander énormément de temps pour toi. Et puis d’avoir tout ça quand tu crées une entreprise, que tu la mets en place, tout ça, c’est d’autant plus de complexité, en tout cas.

Charlotte : Oui, ça ne s’est pas fait tout de suite. On a 10 ans, mais on a connu une grosse progression. Chaque année arrive avec son lot de difficultés et de nouveautés. Moi, j’apprends tous les ans. Je suis une chef d’entreprise en devenir. Je le suis pleinement, mais par contre, je continue à apprendre tous les jours.

Donc oui, c’est complexe, c’est du boulot, c’est beaucoup d’énergie. Et en même temps, moi, j’adore ce que je fais, donc c’est ça qui me porte, heureusement. Parce que c’est vrai que là, les temps sont durs en ce moment, donc notre situation économique n’est pas bonne du tout. En ce moment, on a une équipe qui est trop grosse par rapport au volume de production que l’on a. Donc là, j’ai un gros enjeu en ce moment. On est en train d’y arriver, mais ce n’est pas évident.

Entreprendre, un défi permanent

Marie-Cécile : C’est quoi tes défis aujourd’hui, justement, par rapport à ça ?

Charlotte : Notre défi, c’est de retrouver la rentabilité rapidement. Ça, c’est le défi numéro un. Donc ça, ça passe par continuer à développer nos ventes. Ça passe par réussir à investir, investir dans de nouvelles machines qui nous permettront d’être plus productifs, de soulager le travail de mon équipe.

En gros, le but serait qu’on a légèrement réduit l’équipe ces derniers temps et qu’avec cette équipe-là, on arrive à produire plus. Mais il ne faut absolument pas qu’on augmente la masse salariale. Même si c’est quand même mon leitmotiv quotidien, il faut être lucide. Et aujourd’hui, la survie de l’entreprise passe par cette phase-là.

Ce qui est complexe, c’est de garder le cap sur tous nos engagements, dans ces situations-là. Moi, j’aimerais travailler sur plein d’autres choses. J’aimerais travailler sur la consigne, par exemple, le réemploi du verre, etc. Mais du coup, tout ça, j’ai un peu mis entre parenthèses pour l’instant. On se concentre sur les fondamentaux, c’est-à-dire arriver à produire bien, dans de bonnes conditions et bien vendre. C’est à peu près ça qu’il faut qu’on arrive à faire.

Marie-Cécile : Et puis, tu parles de conditions de travail parce que j’entends aussi que tu essayes de faire attention à ce que la pression, elles ne soit pas non plus trop forte sur les équipes et que le but, ce n’est pas d’épuiser les équipes non plus.

Garder la qualité de vie au travail des salarié·es malgré la pression des résultats à atteindre

Charlotte : Oui. Moi, je suis assez vigilante à ça, peut-être un peu trop parfois. C’est-à-dire, je prends beaucoup sur moi. Donc, quand on a des absents, je remplace beaucoup. Je ne veux pas que mon équipe souffre. On est dans une période tendue, ils le savent. Donc, tout le monde est bien au boulot. Mais voilà, il faut…

C’est presque parce qu’on est dans une période difficile qu’il ne faut absolument pas lâcher notre bien-être au travail. Alors, on ne joue pas… On n’est pas une start-up avec une table de ping-pong dans la… Je confirme, il n’y a pas de table de ping-pong autour de nous. Mais par contre, cultiver les bonnes relations, déjà, cultiver l’esprit d’équipe, cultiver une communication saine et constante entre nous. L’entraide, ça, c’est très important. On est tous un peu polyvalents et moi, je tiens à ce que ça le reste, en tout cas en ce moment.

Veiller à ce que… Voilà. Qu’on ne se fasse pas mal. Ce n’est pas parce qu’on est sous pression qu’il faut se faire mal. Il faut justement faire attention à son dos, etc. On fait un travail très physique. Ça c’est très important.

Marie-Cécile : Dans ces moments-là de pression un peu plus forte, on pourrait l’oublier aussi. C’est quelque chose qui…

Charlotte : Non, non, il ne faut pas l’oublier. Et puis, il y a des petites choses, mais c’est vrai que là, on en fait de temps en temps des moments conviviaux. Ce n’est pas grand-chose, mais de régulièrement partager une part de gâteau, un moment sympa, c’est très important et il faut absolument ne pas lâcher ce genre de choses.

Marie-Cécile : Donc, dix ans, tu me dis, comment toi, tu gardes l’énergie ? Parce que je suppose que tu gères beaucoup de choses dans cette aventure. Comment tu gardes ton énergie ?

Charlotte : Ce n’est pas toujours simple. C’est un marathon. Ça fait longtemps que je suis dessus. Ça fait longtemps que je cours. Ça fait longtemps que je gravis des montagnes. Donc, ce n’est pas toujours facile de garder le cap. Je ne sais pas ce qui me porte. Déjà, j’ai une bonne capacité de travail. Ça, c’est sûr. Je crois que je suis capable de beaucoup travailler.

Mais ce qui m’aide, ce qui m’a toujours aidée, je crois, c’est que j’ai quand même un bon équilibre vie pro, vie perso. J’ai deux enfants qui m’aident à rentrer pas trop tard le soir, à essayer de télétravailler le mercredi. Et en fait, ça, c’est précieux. Parce que du coup, j’ai des journées extrêmement intenses. Mais une fois que je suis à la maison, je coupe assez bien. Je fais aussi du yoga, du sport, beaucoup de balades le week-end et tout ça. Cet équilibre-là, il est précieux. En fait, si je ne l’ai plus, là, c’est trop dur, je n’y arrive plus.

Entreprendre, un apprentissage permanent

Marie-Cécile : C’est ton équilibre. Et est-ce qu’il y a des choses que tu as apprises au bout d’un moment et que, si tu les avais sues dès le départ, ça aurait peut-être pu t’aider ? Ou en tout cas, parce que à la base, tu n’avais pas créé d’entreprise. Tu n’avais jamais géré d’entreprise avant.

Charlotte : Non, non, je n’avais jamais géré d’entreprise. Je ne suis pas du tout d’une famille d’entrepreneurs. Donc, ce n’est pas du tout mon monde. Donc, j’ai fait comme je pensais avec du bon sens. Mais j’ai un peu improvisé. Tu as été accompagnée ? Oui, oui, j’ai été accompagnée. Je m’entoure beaucoup parce que j’ai beau être seule, je suis toujours…

Déjà, maintenant, j’ai des associés. Mais surtout, je me suis toujours fait accompagner dans les réseaux de création d’entreprise, le réseau Entreprendre. La région propose aussi des accompagnements. France Active, enfin, tous ces organismes-là sont présents. Et du coup, ça permet d’avoir des accompagnements, par exemple, d’experts, de conseillers.

Et puis, des chefs d’entreprise locaux. Moi, je salue Lionel Donne, notamment, de la chocolaterie Castelain, qui m’a toujours consacré beaucoup de temps et d’amitié. Et rien que ça, en fait, c’est précieux. C’est-à-dire que c’est quelqu’un que je peux appeler quand j’ai une question très technique sur une négociation commerciale avec un client ou quand j’ai un coup de mou ou pour partager toute autre nouvelle. Donc, c’est précieux pour moi.

Et les associés que j’ai aujourd’hui, c’est des gens de ce type-là. C’est des business angels locaux qui sont adorables et toujours présents. Dans le vrai sens de ange gardien. Oui, oui, voilà. Ils ne sont pas présents au quotidien dans la gestion de l’entreprise, mais on se voit régulièrement. Et je sais surtout que je peux les appeler à tout moment. Et ça, c’est chouette.

Marie-Cécile : Oui, tu parlais de négociations commerciales. Aujourd’hui, tes produits, on les retrouve dans des biocops, des choses comme ça. Donc, je suppose que derrière, il y a des volumes. Donc, ça veut dire qu’il y a des négociations. Comment on gère ça quand on ne l’a jamais fait avant ?

Charlotte : Je me suis un peu formée, parce que moi, je suis ingénieure agro. Je ne suis pas du tout commerciale. Donc, au début, je me suis formée avec l’ARIA, qui proposait des formations, justement, aux relations commerciales, aux négociations, apprendre ce que c’est que les différents types de marges, de remises, tout ce fonctionnement-là.

Mais surtout, j’ai démarré petit. C’est-à-dire que moi, par exemple, je ne voulais pas du tout travailler avec la grande distribution. Et en fait, mes premiers clients, ça a été les Biocoops d’à côté. Et en fait, ce sont des gens comme vous et moi, les gérants de Biocoops ou les responsables de rayons. Donc, en fait, là, c’est plutôt facile, dans le sens où il faut vendre son produit, bien entendu. Il est donné envie de l’acheter, mais il n’y a pas de question de négociation. Enfin, notre prix, c’est celui qu’on a fixé. Et alors, oui, on peut faire une remise d’implantation, on peut faire un geste, on peut faire des choses, mais grosso modo, il n’y a pas vraiment de négociation salariale avec nos clients en direct.

C’est seulement bien plus tard qu’on a commencé à travailler avec des grossistes, ou là, plus récemment, avec la plateforme Sud-Est Biocoop, où là, en effet, on se retrouve avec des acheteurs plus gros que soi. Mais du coup, j’étais déjà un peu aguerri, et surtout, j’ai une responsable commerciale à mes côtés depuis six ans maintenant, et donc, voilà, on apprend, et puis on continue à apprendre tous les ans.

Des associations de saveurs originales

Marie-Cécile : Moi, je sais que je vous ai découvert avec les préparations pour taboulé, et ça, je trouve ça génial, parce que j’en avais goûté avant, des préparations pour taboulé, mais je trouvais que ça n’avait pas de goût. Enfin, en tout cas, c’était… Et là, en plus, il y a des associations de saveurs qui sont… Il y a de la betterave, des choses dont on ne penserait pas forcément. C’est un produit particulier pour vous, ça, par rapport au reste ?

Charlotte : Ça a été notre premier produit innovant. On a mis du temps. Oui, c’est un produit assez complexe à faire, parce qu’il faut que la dose de jus soit parfaitement dosée, pour que ça absorbe… Enfin, pour que vos 100 grammes de semoule absorbent le jus du pot. Que c’est un aspect de salade, que ce soit pas spongieux, que ce soit goûteux, mais donc, on a mis du temps. On a travaillé, d’ailleurs, avec des étudiants de l’école hôtelière, de la CCI. C’était un projet sympa, ça fait quelques années, maintenant.

Et… Donc ça, c’est un projet… C’est des produits que j’aime bien. Malheureusement, ils ne se vendent pas énormément, parce que… En général, les gens qui font ça, il faut les mettre dans des boîtes avec un petit sachet de semoule. Donc, dans la boîte, il y a le sachet de semoule et le bocal. Et moi, je trouvais que ça faisait trop d’emballage, donc je n’ai pas voulu me lancer là-dedans.

Mais du coup, les gens ne voient pas forcément tout de suite ce que c’est. Donc, les gens qui le connaissent, après, sont en général conquis et continuent à l’acheter, notamment quand… Moi, j’ai des ados, maintenant, et c’est hyper pratique quand il faut qu’ils mangent rapidement et… Pour tous les pique-niques et les déjeuners à divers et variés. Mais voilà. Donc, il faut qu’on arrive à mieux le vendre en rayon. Si il y a parmi vous des marketeurs qui ont des super idées, je prends !! (rires)

Marie-Cécile : Je parlais des saveurs, mais c’est vrai que, notamment sur ce produit-là, mais même dans les soupes, vous avez des associations de légumes auxquelles… Enfin, voilà. Ce n’est pas forcément la soupe traditionnelle qu’on connaît. Il y a toujours, je trouve, des associations … Comment vous les définissez ?

Charlotte : Oui, on voulait se démarquer, parce qu’en Provence, déjà, il y a des gens qui font des très, très bons produits provençaux. Donc, moi, je ne voulais pas les mettre dans leurs pâtes. Donc, je voulais faire des produits qui soient à la fois traditionnels. La soupe, c’est plutôt traditionnel. Mais avec une pâte un peu moderne et des influences diverses.

Donc, nos influences sont effectivement diverses. Il y a, comme tout le monde, des livres de recettes. Mais aussi, on a eu des étudiants qui ont travaillé. On a eu des cuisinières professionnelles. Il y a des influences qui viennent de plein d’endroits. Après, nous, une fois que la recette nous plaît, il y a quand même quelques prérequis.

Déjà, il faut que les ingrédients frais soient disponibles à la même saison, localement. Donc, on ne va pas mettre un légume d’hiver avec un légume d’été, par exemple. Ça a l’air basique comme ça, mais c’est important. Et puis, il faut retravailler la recette, évidemment, pour qu’elle s’adapte à notre process et que ça reste bon après la stérilisation, etc.

Donc, une fois qu’on a la recette en cuisine, il faut quand même la retravailler. Et donc, souvent, là, on n’en a plus en ce moment, mais on a souvent une personne en apprentissage, en R&D, qui va faire, justement, les recettes 40 fois, en pesant, en goûtant, en faisant évoluer les process pour que ce soit bon.

Marie-Cécile : Et après, vous faites des sessions de dégustation à l’intérieur de…

Charlotte : Ouais, ouais. On est plusieurs à goûter régulièrement. Déjà, nos produits, régulièrement, pour les faire évoluer ou vérifier que tout va bien. Et puis, les nouveautés, on les goûte et on est un petit comité. Alors, les goûts et les couleurs, tout le monde n’a pas les mêmes goûts. Mais par contre, il faut vraiment que le produit remporte l’unanimité pour qu’on le lance vraiment.

Et parfois, même, ça fait un petit temps qu’on ne l’a pas fait, mais on essaye aussi de faire goûter à des consommateurs autres. Donc, on organise des ateliers de dégustation. Les gens viennent gentiment et goûtent nos différentes nouvelles recettes et donnent leurs avis sur l’aspect, la texture, l’association d’idées. Et aussi, le fait, est-ce que ça va se vendre ?

Parce que nous, par exemple, on a une soupe, c’est une soupe de fenouil au citron et à l’anis vert, que j’aime beaucoup et qui a ses fans. Mais voilà, c’est des parfums plus originaux. Donc, on sait très bien que ça ne sera pas notre meilleure vente, mais en même temps, ça permet d’avoir un produit original. Donc, voilà, moi, je trouve ça chouette d’avoir une grande diversité de légumes et pas tout le temps dans la courge et la poire aux pommes de terre.

Le Vaucluse, une belle source d’inspiration & de saveurs

Marie-Cécile : En plus, dans le Vaucluse, on a quand même beaucoup de possibilités. Quand tu dis qu’on est à 150 km max, l’avantage, c’est que ce territoire-là, il est quand même très riche en production agricole.

Charlotte : Ah oui, on est dans un terroir génial pour les fruits et les légumes. En particulier, on a absolument tout ce qu’on veut ici en production bio en plus. Donc, on a le choix. On a le choix. Alors, nous, ce qui nous contraint plus, c’est notre process, par exemple, tout ce qui est légumes-feuilles, les salades. On pourrait faire de la soupe de salade, mais on a peur que ça ne se vende pas trop.

Les salades, les feuilles, on ne les manipule pas trop. On n’est pas très équipés non plus pour faire du pesto, du vrai pesto avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de basilic. C’est très foisonnant, ça prend beaucoup de place. On ne fait pas non plus de melon, de pastèque. C’est dommage parce qu’il y a énormément de melon et de pastèque qui sont jetés chaque année. Mais en conserve, c’est pas bon. On a essayé plein de fois, mais c’est pas très bon. Mais à part ça, on est capable de cuisiner beaucoup de légumes différents.

Marie-Cécile : C’est vrai qu’on a un territoire qui est très, très riche. Ça, c’est chouette. Est-ce que tu as des associations de saveurs, des choses auxquelles tu n’aurais pas pensé, toi, et tu as découvert grâce aux essais que vous avez faits ou des choses…

Charlotte : Oui, je pense à une soupe qu’on avait faite pour un client. L’idée venait d’eux. C’était des légumes anciens et donc c’était un assortiment panais et topinambour. Moi, j’étais pas très… Ça ne m’inspirait pas tellement et en fait, c’est très sympa. Ça va bien ensemble. C’est un peu noisette. Oui, tout à fait. C’est très bon. Qu’est-ce qu’on a d’autre ?

Marie-Cécile : Toi, c’est quoi ton produit préféré ? Je sais que la question est horrible.

Charlotte : Le coulis de tomate, j’aime bien le coulis de tomate. Il est très bon. Il est tout simple. C’est simple. Et puis moi, en fait, curieusement, à la maison, je cuisine beaucoup et donc je n’achète pas tellement de produits transformés. Mais par contre, oui, moi, ce que j’utilise beaucoup, c’est notre coulis de tomate, nos pois chiches, parce que ça, pour le coup, c’est des produits qui vont se cuisiner. Des compotes pour les enfants. Et dans les tartinades, on a une tartinade courgette-olive qui est très sympa et que j’aime beaucoup aussi. Il y a un produit nouveau qu’on fait, c’est les pickles.

Et ça, c’est pour une cliente qui a des recettes incroyables. C’est vraiment très bon. C’est-à-dire qu’à partir de concombre, on fait des… Ça donne un esprit un peu malossol avec de l’aneth et des graines de moutarde. C’est très sympa.

La nouveauté, les pickles

Marie-Cécile : Tu peux expliquer un peu, justement, qu’est-ce que c’est un pickles ?

Comment ça se produit ? C’est des légumes crus qu’on va mettre dans une saumure. Cette saumure, elle est constituée d’eau, de vinaigre, de sel et de sucre. C’est quand même très sucré, très salé, très vinaigré. Mais c’est beaucoup moins fort que des cornichons. C’est vraiment un produit qui est sympa, parce que ça reste croquant. Alors, c’est pas tout à fait cru, puisque nous, on le pasteurise légèrement. Mais c’est quand même très croquant et ça amène vraiment du pep, c’est de la… En plus, elle nous fait, par exemple, on fait des piquages de chou-fleur avec du curcuma. Donc, c’est jaune vif, par exemple. C’est très joli. Ça habille une assiette et ça amène du croquant et du pep. C’est un produit qui est chouette.

Marie-Cécile : Oui, parce que s’il y a bien quelque chose qu’on voit ici, je prendrais une ou deux photos, c’est qu’il y a de la couleur de partout. En tout cas, dans les produits.

Une charte graphique colorée à l’image de la nature

Charlotte : Oui, c’est vrai qu’on joue sur les couleurs. En fait, c’est la diversité des légumes qui veut ça aussi. Mais moi, j’aime bien avoir des produits multicolores. D’ailleurs, nos étiquettes sont quand même toujours… On a changé la récemment, mais il y a toujours du pep, c’est de la couleur. Moi, c’est important pour moi.

Les étiquettes, elles sont super jolies. Vous avez travaillé avec une illustratrice ? Oui, en fait, on a une graphiste avec qui on travaille depuis toujours, qui s’appelle Atelier Réan, Coucou Christelle, qui est Vauclusienne ! Et l’illustratrice avec qui on travaille depuis peu, qui s’appelle Clémentine Marot, qui est géniale, qui est une super illustratrice qui habite à Nantes. Elle n’est pas locale. Grâce à elle, on a toute une ribambelle de petits producteurs et de légumes très sympas. C’est très frais, c’est moderne. Enfin, moi, j’aime beaucoup notre nouvelle charte graphique.

Un objectif : maintenir le cap en restant aligné avec ses valeurs

Marie-Cécile : Oui, elle est très, très jolie. Alors, on a entendu qu’effectivement, la situation n’était pas forcément facile, mais je pense que c’est le cas de beaucoup de personnes aussi. Qu’est-ce que tu souhaites pour la suite à Local en Bocal ?

Charlotte : Moi, je souhaite une longue vie à Local en Bocal. On a quand même des engagements qui sont chouettes. Moi, je trouve qu’une entreprise, elle a le devoir d’être constamment dans la recherche d’amélioration, notamment pour réduire son impact environnemental, pour avoir un impact social bénéfique, pour proposer des bons produits aussi qualitatifs.

Aujourd’hui, je trouve que l’alimentation, c’est un projet à la fois magnifique et très malmené dans nos sociétés. On nous a fait croire qu’on pouvait manger pour trois fois rien, mais en fait, c’est faux. L’alimentation de qualité made in France, avec des bons légumes, ça se paye, malheureusement.

Donc, en fait, je trouve que moi, un de mes leitmotivs, c’est d’arriver à convaincre les consommateurs que, oui, c’est vrai que quand on met un peu plus d’argent dans son alimentation, en fait, cet impact-là, il va bien au-delà de ce qu’on va manger ce soir, c’est-à-dire que c’est derrière des producteurs qui vivent mieux, c’est une production française, c’est une production plus respectueuse de l’environnement, c’est une production plus qualité, qui va être meilleure pour sa santé.

Donc, in fine, ce sont des coûts sociétaux allégés. Enfin, je veux dire, des produits à bas coût, produits dans des conditions déplorables, ça sera, au final, des produits qui coûteront cher à la terre et probablement cher pour notre santé aussi. Et donc, investir dans son alimentation, c’est investir pour soi, pour le plaisir, déjà, de la bonne bouffe. C’est important de bien manger, ça fait vraiment partie des plaisirs de la vie.

C’est important pour les producteurs qui sont autour de vous. En fait, tout le monde est très content d’avoir des agriculteurs dans le coin, mais en fait, ce qui les fait vivre, c’est quand on achète leur production. Et aujourd’hui, il y a un petit décalage entre ce que les Français disent vouloir faire et font réellement. Et en fait, il faut savoir que quand on achète que des produits à bas coût, ultra transformés ou non, mais en tout cas pas en saison et qui viennent de loin, eh bien, ça n’est pas rendre service aux producteurs locaux, ça n’est pas rendre service à l’environnement, ni à sa santé.

De multiples manières de soutenir les producteurs locaux

Marie-Cécile : J’en ai parlé aussi dans un des épisodes où je parlais de C’est qui le patron ? Où là, on a parlé vraiment de toute la partie rémunération des producteurs. Mais c’est vrai que c’est important que les producteurs qui travaillent dur et qui nous font à manger puissent vivre correctement. Et je pense que ça fait partie aussi de toi de se dire, un, je récupère des choses qu’ils n’auraient pas vendues normalement, mais le but, c’est de les payer correctement et travailler avec eux, en fait.

Charlotte : Un agriculteur qui va vendre en direct à la ferme, évidemment, nous, les prix qu’on va demander sont très, très bas pour eux. En revanche, on paye plutôt bien par rapport à des industriels et surtout, on paye plutôt bien pour des légumes qui sont parfois considérés comme des déchets.

Mais ça, moi, je n’ai pas tellement envie de négocier avec les producteurs. Il faut savoir que les agriculteurs, c’est des gens qui travaillent comme des fous, qui se tuent à la tâche, qui ont un travail extrêmement physique, assez ingrat, avec, il suffit d’un événement climatique ou d’un champignon qui débarque pour dévaster une culture entière. Et en fait, c’est un métier qui est dur. Et on a l’impression, du coup, que c’est normal de payer une tomate 40 centimes le kilo, mais absolument pas. Enfin, il faut que tout le monde vive. Et donc, c’est important de soutenir l’agriculture française et l’agriculture d’une façon générale, mais l’agriculture locale en particulier.

Marie-Cécile : Oui, et en plus de valoriser des produits qui vont être jetés, parce que là, on parlait des légumes un peu biscornus, tout ça, où là, on se dit, ça ne rentre pas dans le calibre. Mais des fois, ça va beaucoup plus loin aussi, du fait qu’il y a, justement, il n’a plus un peu trop fort, les pommes, elles sont un tout petit peu abîmées, elles ne vont pas être prises. Enfin, voilà, il y a des choses qu’on ne connaît pas forcément quand on est consommateur et qu’on voit, on voit ces beaux étals tous parfaits, mais derrière, il y a énormément de légumes et de fruits qui sont jetés alors qu’ils sont très bons et que, voilà, on le sent bien dans ce que tu produis.

Charlotte : Ah oui, il y en a, et il faut savoir que ce n’est pas de gaieté de cœur que les producteurs jettent, mais c’est de notre faute, c’est de notre faute, consommateurs, c’est parce qu’on a été mal éduqués et qu’on n’est pas tellement prêts à faire machine arrière sur ces sujets-là. Donc, en achetant ce genre de légumes, on amène un débouché complémentaire aux producteurs. C’est du travail qu’il a mené, en fait, tout au long de l’année sur cette production qui est valorisée, même s’il est moins bien valorisé. Imaginez un producteur qui va jeter 100 kilos d’un légume, en fait, il a passé un temps de dingue à semer, à désherber, à arroser, etc. Donc, c’est du… C’est de l’alimentation qu’on jette à la poubelle. C’est dommage.

Marie-Cécile : Et toi, en tant que personne, depuis que tu as créé cette boîte et que tu as vécu tout ça, avec des hauts et des bas, qu’est-ce que tu as l’impression d’avoir appris ? Est-ce qu’il y a des choses que tu as découvertes, que tu ne savais pas ?

Charlotte : J’ai découvert tellement de choses que je ne pourrais pas vous faire une liste, mais… C’est ça ? Oui, vraiment.

Déjà, dans les relations humaines, d’avoir une équipe d’une vingtaine de personnes, ça ne s’improvise pas. Ce n’est pas du tout la même chose d’avoir une petite équipe de 2, 3, 4 personnes et une équipe de 20 personnes. Là, on est dans un nouveau… Enfin, on n’a forcément plus la même relation, et ce qui est très complexe, je trouve, je ne vais pas dire difficile, mais en tout cas, c’est complexe, c’est d’avoir un bon équilibre entre avoir une bonne relation, je tiens beaucoup et je suis très spontanée, donc je me comporte…

Les gens sont un peu surpris de me voir en tant que chef d’entreprise, me comporter comme ça avec mon équipe, c’est-à-dire que je suis très naturelle avec eux, et je tiens beaucoup à ce qu’on ait une relation sympathique, agréable, qu’on soit capables de rire ensemble, de passer des bons moments, et en même temps, il faut de la rigueur, chacun a des objectifs qu’il doit tenir, il faut arriver à trouver ce juste équilibre entre la bienveillance et l’exigence. C’est quelqu’un que je connais bien, Florence Manaud, qui dit souvent ça. Ça, c’est complexe. Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? Dans la gestion d’entreprise, il y a beaucoup de domaines, il y a les finances, il y a les achats, il y a la qualité, il y a des choses que je connaissais mieux. Moi, je suis ingénieure, donc toute la partie technique, je suis beaucoup plus à l’aise, mais on en découvre tous les jours, au niveau commercial, relation commerciale. La première fois qu’on a un problème qualité sur un produit, forcément, ça nous arrive. Comment est-ce qu’il faut réagir ? La première fois qu’on a une panne de machine, alors moi, ça m’est arrivé, je ne vous raconte pas un nombre de fois incalculable, mais la première fois, c’est complexe. Quand on a toute une équipe qui attend parce qu’on a une machine en panne, qu’est-ce qu’on fait ? Les marmites, les marmites sont pleines de soupe.

On apprend à rebondir. Il faut tout le temps avoir des solutions, des plans B, des plans C. Ça, je pense, c’est le point majeur et principal quand on est dans les métiers de production, c’est de savoir rebondir à toutes circonstances.

Marie-Cécile : Est-ce que tu as découvert, toi, des choses sur toi que tu ne pensais pas être capable ?

Charlotte : Moi, il ne faut pas trop réfléchir. Si je regarde en arrière, je me dis quel boulot et quand je regarde devant, je vois encore tout le boulot qu’il y a à battre. Donc, je ne réfléchis pas trop. J’y vais.

Les sons de Local en bocal

Marie-Cécile : Et une question que je pose souvent, c’est si comme on est sur du podcast, qu’on ne voit pas, est-ce qu’il y a un son qui, pour toi, représente tout ce qui se passe ici ?

Charlotte : Moi, c’est les bruits de l’atelier. Même quand je suis dans mon bureau, je sais exactement ce qui est en train de fonctionner ou pas. Je sais si l’autoclave démarre, je sais s’il est en train de refroidir, je sais s’ils sont en train de trancher des légumes, je sais si l’étiqueteuse est en route. Et dès qu’il y a un bruit bizarre, je me lève direct et je descends en courant. Tout le monde rigole, mais je sais précisément, je connais tout le bruit des machines, en fait. Ce n’est pas un bruit, mais c’est plutôt un ensemble de sons qui, pour moi, du coup, est très, très familier. Et ce sera toujours local en bocal, pour moi, ça.

Marie-Cécile : Ça veut dire qu’en fait, pour toi, c’est comme une musique. Quand vraiment, il y a tout qui fonctionne et si tu es capable d’entendre quelque chose qui ne marche pas comme d’habitude.

Charlotte : Ah bah oui, c’est notre environnement sonore. C’est d’ailleurs un peu trop sonore, c’est bruyant, mais en fait, c’est tout un ensemble, tout le fonctionnement de l’entreprise qu’on entend d’ici.

Moins de smartphones, plus de légumes !

Marie-Cécile : Super, merci beaucoup. Merci pour tout ce travail et ces produits qui sont très, très bons que moi, j’adore manger régulièrement. Je ne sais pas si tu as quelque chose, un dernier message à apporter aux auditeurs, auditrices, à manger Local en bocal ?

Charlotte : Ah bah oui ! Non, non, mais merci beaucoup. Merci, j’espère que… C’est vrai qu’on a des produits qui sont un peu chers, donc je comprends qu’ils soient pas accessibles à toutes les bourses, mais en tout cas, continuez à acheter des produits locaux, continuez à manger des produits de qualité, achetez un bon panier de fruits et légumes frais à votre producteur voisin et c’est très important. Moins de smartphones, plus de légumes.