Et si on programmait du théâtre hors saison dans un village aux portes du Luberon ?

Merci Nicole d’avoir partagé ta passion avec nous. Je souhaite aux Tréteaux de Lagnes de pouvoir fêter leur 20ème anniversaire et que l’équipe de bénévoles s’agrandisse. Prendre quelques heures de son temps pour le donner à une association, quelle qu’elle soit, est une aventure personne et humaine hyper enrichissante. Si en plus cela permet de voir de beaux spectacles et amener la culture à un public toujours plus large, pourquoi hésiter !
Découvrez la programmation des Tréteaux sur lestreteauxdelagnes.fr et leur page Facebook
Et surtout, allez voir du théâtre, découvrez cette magie qui se joue sur scène à chaque représentation, vous ne le regretterez pas.
L’esperluette de Nicole :
Avoir conscience que le bonheur est ici et maintenant et être curieux : « Je pense que la vie ne peut être digne d’être vécue que si elle est chargée de curiosité. Chaque instant doit être l’appel à la découverte de quelque chose. »
A une prochaine, je l’espère-luette évidemment !
Propos recueillis par Marie-Cécile Drécourt
Pour les malentendants, l’interview de Nicole est disponible sur Youtube en version sous-titrée
Marie-Cécile : Et si on programmait du théâtre hors saison dans mon village du Luberon ? C’est l’idée qu’a eue
Nicole Trinquart Leroux quand elle est arrivée à Lagnes, petit village entre L’isle sur la Sorgue et Fontaine de Vaucluse. Passionnée de théâtre et de textes, elle a souhaité, en créant l’association Les Tréteaux de Lagnes, partager cette passion en montrant, avec son équipe de bénévoles,
que l’on peut amener les grands spectacles en campagne, hors Avignon et hors période festivalière.
Moi-même bénévole dans cette association depuis quelques années, je souhaitais par cette interview, montrer tout le travail accompli par cette équipe de passionnés, un exemple parmi tant d’autres de l’énergie dépensée par tous les créateurs d’associations ; et que le théâtre, beaucoup plus accessible qu’on ne le pense, est une magie à voir et à découvrir qui mériteraient bien plus de visibilité. Bonne écoute !
Je suis Nicole Trinquart. Je suis présidente de l’association Les Tréteaux de Lagnes. Je suis
originaire de Marseille, transplantée dans le Vaucluse depuis maintenant 25 ans, donc je me considère presque comme vauclusienne. En tout cas je suis fondamentalement méridionale. Ma carrière m’a amenée à démarrer ma vie professionnelle dans la région parisienne, à Chantilly. Après quoi je suis revenue dans le midi et j’étais professeure de littérature et j’ai exercé ce métier à tous les niveaux : c’est-à-dire j’ai démarré ma carrière en lycée et puis, lors d’une mutation dans le midi, j’ai été nommée dans les collèges des quartiers Nord à Marseille. Je dois mon salut au fait d’avoir utilisé le théâtre en populations scolaires difficiles. J’ai appris à la fois mon métier, parce que si tu ne mets pas tes tripes sur la table dans ces quartiers là, eh ben tu te fais dévorer, et le théâtre a été un outil fabuleux pour sortir des enfants de situations absolument difficiles. Dans les quartiers Nord, j’ai travaillé avec l’équipe de Marcel Maréchal, l’école de théâtre de La Criée, et Jean-Pierre Raffaëlli. A cette époque-là c’était les balbutiements auquel j’ai été associée, balbutiements de la création des sections théâtre en lycée. Et puis lorsque mon poste s’est concentré sur les classes prépas et sur la fac, j’ai renoncé à la mise en scène et à l’animation d’ateliers théâtre. C’est lorsque j’ai pris ma retraite que je me suis dit : » mais que vas-tu faire du peu que tu sais faire dans ce monde là ? » ; d’autant plus que la vie avait fait que je m’étais installée dans un petit village du Vaucluse : Lagnes. Tout le monde s’inquiétait beaucoup de me voir m’enterrer et je me suis dit qu’il fallait amener le théâtre jusque dans les villages depuis Apt jusqu’à Caumont,
depuis Cavaillon jusqu’à Carpentras, tous ces petits villages chaleureux, sympathiques mais dans lesquels l’hiver il y à peu de choses en matière de théâtre puisque toute l’énergie théâtrale est absorbée par le Festival d’Avignon. Donc l’objectif c’était d’amener au plus près de ses villages et du public qui y habite, des spectacles de grande qualité. Ma formation fait que j’étais très ancrée dans le texte littéraire – j’avais une vraie passion pour le texte que j’ai toujours d’ailleurs – c’est pour ça d’ailleurs que les choix des Tréteaux se portent sur des spectacles de théâtre de texte.
Donc Il y a ma formation et mon amour du texte et puis il y a le fait que, pour moi, le théâtre c’était une forme de thérapie. Dans les moments de ma vie où les choses n’allaient pas bien du tout et où, passer par le biais de la mise en scène c’était pour moi salvateur, d’autant plus que je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y avait du théâtre amateur ou du théâtre professionnel, pour moi il y avait du bon théâtre et du non théâtre, chacun a sa place mais lorsque je travaillais avec des élèves, des étudiants ou avec des adultes amateurs, je n’ai jamais eu de tolérance pour ceux qui étaient insatisfaisants … Je veux dire je pense que chacun peut aller au meilleur de soi et donc il y avait cette grande exigence. Et ça a commencé alors que j’étais à Chantilly et lorsque j’ai été mutée à Marseille, à ma demande, et que j’ai abouti dans les quartiers Nord, c’était une façon pour moi de m’en sortir et pour un certain nombre d’élèves de les sortir de la situation d’échec dans laquelle ils étaient. Ca a été vraiment une aventure phénoménale parce que… Imaginez un collège des quartiers Nord, avec 45 à 50 % de population d’origine étrangère, dans lequel on refuse de sacrifier à la médiocrité, à la facilité et dans lequel on fait monter par des élèves, ‘Les fourberies de scapin’, ‘Andromaque’,
dont on avait fait un tournage en décors naturels à la vieille charité. A ce moment là j’ai été aidée, conseillée, épaulée par Jean-Pierre Raffaëlli, qui dirigeait l’école de théâtre de La Criée
et à qui je dois beaucoup de tout ce que j’ai appris en termes de théâtre et en termes d’évaluation de spectacles. Lorsque j’ai quitté les quartiers Nord pour être nommée au lycée de Gardanne où j’avais un atelier théâtre, Jean-Pierre m’a suivie, accompagnée et c’est de cette collaboration qu’ont émergé des comédiens comme Marc Pistolesi, qui maintenant est un comédien connu, réputé qui a fait sa route dans le monde du théâtre, qui a obtenu Le Molière de la mise en scène pour Ivo Livi où le destin de d’Yves Montand, qui jouent actuellement dans Arletty » et dans bien d’autres pièces. Marc n’était pas destiné au théâtre non plus. It est issu d’une section technique. Donc voilà pour moi c’était ça le théâtre, c’était une façon de faire faire autre chose et d’amener les élèves ou les étudiants à sentir qu’ils avaient quelque chose en eux qu’ils pouvaient livrer dans le monde du théâtre. Après ça a été de partager cette passion et de faire partager des coups de coeur pour de grands spectacles à un public qui pensait qu’il n’était pas fait pour ça ; donc c’est une continuité. [musique]
C’est parti d’une toute petite chose. En 2008 j’ai fait partie de l’équipe municipale qui a été élue. A la demande du maire j’ai créé une action culturelle pour le village de Lagnes qui disposait d’un théâtre de plein air. La première année ça a été deux spectacles, l’été,
« Les sept familles du théâtre » – la Compagnie Clin d’oeil avec Gérard Audax – et Les cordes d’argent de Saint Pétersbourg. On n’était plus du tout dans le théâtre, on était dans la musique internationale et ça a été déjà un beau succès. De fil en aiguille, la programmation s’est étoffée et, dans la mesure où il y a une grande richesse d’offres pendant la période estivale, nous nous sommes concentrés, l’équipe et moi-même, sur une programmation qui s’étalait de janvier à décembre, c’est-à-dire en gros un spectacle tous les mois, tous les mois et demi, choisis avec soin pour que le public s’y retrouve. Un choix de textes dont les thématiques sont variées pour ne pas créer un effet de lassitude, d’autant plus que le public est un peu prisonnier de nous, dans la mesure où en termes de théâtre spécifique, il y a peu d’offres l’hiver. Ce qui est offert autour c’est souvent du cirque, de la danse, de la musique ; du théâtre de texte peu souvent. Donc on a travaillé au choix de spectacles et je cesse de dire « je » parce que c’est vraiment le choix d’une équipe qui est sur le terrain, qui participe à la sélection des spectacles, que nous voyons deux ou trois fois pour nous assurer que ça correspond bien à ce que l’on a envie de partager et de faire partager au public. Petit à petit on est passé à un rythme de 7 à 8 spectacles par an, en gros ça fait tous les mois, tous les mois et demi avec une période un peu creuse souvent l’été. On a démarré à quatre. Quatre qui étaient essentiellement des élus de Lagnes, qui après se sont désengagés parce que c’était extrêmement prégnant, parce que si on voulait construire un public
il fallait aller le chercher. Parce que les affiches, les flyers, la communication par internet n’est pas suffisante et c’est vraiment notre présence sur les marchés…Alors ça fait toujours sourire les amis que nous avons acquis maintenant dans l’univers du théâtre, amis
metteurs en scène, amis comédiens, amis producteurs, quand on leur dit « ah mais nous on est sur les marchés paysans, on rencontre le public en direct, on est dans les halls de supermarchés et on explique ».
C’est un énorme travail qui en plus ne finit jamais puisqu’il nous faut en gros trois semaines de contact avec le public avant un spectacle, s’il y a un mois entre deux spectacles ça veut dire qu’on a une semaine de relâche et trois semaines où on repart, sur le terrain. Donc c’est vrai que, parfois, l’équipe tire un peu la langue et on aurait besoin, mais avec grand plaisir, de renfort, de gens enthousiastes qui seraient prêts à donner une demi-journée de temps en temps pour venir nous nous relayer sur les points de vente pour partager avec nous cet amour du théâtre et des spectacles que l’on a choisis. On explique avec nos tripes, on explique avec notre passion, on explique l’amour d’un spectacle au point que parfois le public nous dit : « on ne sait plus trop si ce qu’on aime le plus c’est allez voir vos spectacles ou vous entendre nous parler des spectacles que vous avez choisis ». Ce qui est pour nous une belle récompense. Je crois que c’est une drogue et il vaut mieux celle-là que d’autres. (rires) Pour moi c’est une magie et ce qui surprend toujours les comédiens eux-mêmes c’est que quand
un spectacle me plaît et que j’ai dans la tête de le programmer, indépendamment des exigences par rapport au choix de la programmation, je vais, mais sans aucune réticence, voir un spectacle trois fois, quatre fois, cinq fois et je le vois avec autant d’émotion, autant de plaisir. C’est d’abord la preuve que le spectacle a beaucoup à donner. Et puis lorsqu’on a lu un bon livre ou lorsqu’on a écouté une symphonie ou un concerto, on ne va pas dire je l’ai déjà entendu une fois je ne l’écoute
pas une deuxième. Quand on a un disque qu’on aime
on l’écoute, on le réécoute en boucle pourquoi n’en serait-il pas de même du théâtre ? C’est exactement la même chose. Et j’ai parfois une comparaison plus triviale : quand on me dit » ah mais j’ai déjà vu » , je réponds : « mais quand on vous offre un verre de bons vins,
de Châteauneuf du pape, est que après la bouteille repasse vous n’allez pas dire non, non, j’en ai déjà bu un verre ? Donc vous n’hésitez pas à vous faire ce plaisir une deuxième fois ? » Le théâtre c’est la même chose. [musique]
Nous on écume beaucoup le Festival d’Avignon. Pour ma part je suis une frénétique et je tourne entre 45 et 55 spectacles par Festival. Mais je ne suis pas la seule sur le terrain. Nous sommes trois à
y être très, très souvent et indépendamment de ce noyau de trois, nous sommes cinq à six à être régulièrement sur le Festival. A partir du moment où un spectacle nous séduit par le contenu et par les enjeux et le public qu’il semble viser, nous communiquons entre nous et nous retournons le voir deux fois voire trois fois. A la suite de quoi nous avons des réunions très chaleureuses et conviviales de toute notre petite équipe, ceux qui ont vu les spectacles et ceux qui ne les ont pas vus, pour savoir ce que l’on retient et ce que l’on met en réserve en fonction des salles et des exigences techniques requises par les spectacles. Parce que comme nous n’avons pas de salle, il faut que nous trouvions les lieux adaptés pour accueillir au mieux les spectacles que nous avons retenus. Donc il s’agit de savoir si dans notre calendrier les compagnies que nous avons sélectionnées ou les spectacles que
nous avons retenus sont disponibles et quand.
Si, lorsqu’ils sont disponibles, la salle adéquate peut nous être proposée. Et si le prix que l’on nous demande convient à notre budget, qui est d’ailleurs un budget extrêmement restreint puisque nous fonctionnons en gros avec 12 000 euros de subventions par an, ce qui est à peine le coût
d’un spectacle. Tout le reste c’est la billetterie, c’est le bénévolat, c’est ce que nous pouvons faire par nous mêmes c’est-à-dire :
accueillir les comédiens chez des particuliers pour économiser les frais d’hôtel, nourrir les comédiens nous-mêmes – je crois fort bien – mais pas de frais de restaurant,… Et ce sont toutes ces petites économies, qui finalement mises bout à bout, font des sommes considérables qui nous permettent de tenir le budget des Tréteaux, moyennant quoi et
bien nous pouvons nous permettre, nous petite
association de programmer des spectacles étonnants puisqu’en 2019 qui est un peu une année phare, 2020 est en cours. 2019 a été ouverte avec « Adieu Monsieur Haffmann, quatre Molières et a été clôturée avec La machine du Turing, quatre Molières. Donc ce sont quand même des spectacles qui ne sont pas des moindres.
Entre les deux et bien j’aime à dire que ce ne sont pas seulement les Molières qui sont attribués une fois par an qui méritent l’intérêt du public mais ce sont tous les spectacles que l’on prend soin de choisir pour tous et qui auront autant de qualités, simplement ils n’ont pas eu la chance d’être distingués à un moment ou un autre. Mais le public souvent s’y retrouve et lui sait les reconnaître et les distinguer. On a été très sollicités au tout début des Tréteaux pour mettre des spectacles drôles, or il est extrêmement difficile de conjuguer la drôlerie et la qualité.
L’humour est la chose la plus difficile et la plus rare si on veut que ça reste dans la finesse.
Donc on a du mal à trouver des spectacles qui ne soient que drôles. En revanche, ce qui nous anime essentiellement c’est que le spectacle fasse sens et nous avons très souvent choisi des textes dont les enjeux posaient question. Alors si on s’oriente un petit peu vers une orientation à tendance politique mais sans que la politique est une couleur. Quand on fait passer « Sacco et Vanzetti »
c’est bien évidemment un vrai problème, un véritable enjeu politique. Quand on fait passer « ¡Ay, Carmela! »,
là c’est un enjeu politique. Quand on fait passer « Louise Michel’, c’est un enjeu politique. Donc là on sait que les spectacles font sens et envoie un message à un public qui est capable de le recevoir.
Et les mises en scène sont en adéquation avec ces spectacles. Dont il y a ces catégories là. Et puis il y a les spectacles dont l’enjeu est plus inscrit dans la société. Lorsqu’on a retenu « après une si longue nuit », où il s’agit de l’histoire de quatre orphelins de guerre : un issu des massacres tutsi; un dont les parents sont morts dans un attentat en Irak, l’autre les parents sont morts à Jérusalem et le quatrième est issu d’un viol pendant la guerre de Serbie, et ces quatre orphelins sont adoptés par la même mère en France, il s’agit bien entendu d’un texte fort
qui met en jeu cette différence qui est niée au profit de l’humain. Il n’y a pas de différences ethniques, il n’y a pas de différences religieuses, il n’y a que des êtres humains.
La mise en scène était par ailleurs fabuleuse et elle était faite par Laurent Natrella, de la comédie française. Donc voilà encore un grand et beau spectacle qui a bousculé un petit peu les émotions pour ne pas citer « On ne voyait que le bonheur » qu’avait mis en scène Grégori Baquet, qu’il interprétait avec Murielle Huet des Aunay, sur cette adaptation du livre de Grégoire Delacourt qui était un livre très fort sur un homme en échec familial,
professionnel et qui est amené à un geste d’une gravité inqualifiable puisqu’il projette de tuer ses enfants et de se tuer lui-même. Mais l’enjeu du spectacle était au delà de ça puisque c’était un spectacle de la rédemption : comment,
quand on est arrivé au fond du gouffre, on trouve l’énergie et la force de remonter vers le pardon et le salut. Donc voilà, c’est jubilatoire, c’est un vrai bonheur des bijoux comme ça à portée de main pour un public qui a au plus 15 kilomètres à faire pour venir nous rejoindre c’est formidable. C’est formidable et c’est formidable l’hiver parce que on arrive à sortir le public de ses pantoufles et de son écran de télévision. On arrive à faire comprendre que la chaleur du partage et du spectacle vivant est bien au-delà de tout ce que l’on peut voir sur un écran et que ça mérite de faire l’effort de sortir une fois par mois. Les spectateurs se déplacent et se déplacent de plus en plus grand nombre. Ca fait un petit peu tâche d’huile, le bouche à oreille joue beaucoup et les spectateurs finissent par venir en confiance. C’est ce qui c’est ce qui nous touche énormément.
Ils partent du principe que si on a fait tout le travail en amont de sélection et de choix ,
bon il y à des thématiques auxquelles on est plus sensibles qu’à d’autres, mais ils savent qu’en tout cas il y a eu l’amour du spectacle, l’amour de la qualité. Ils sont prêts à venir partager cet amour et à prendre les risques avec nous. Sil faut quelques chiffres, sur la saison dans son entier on avait 350 spectateurs en 2011 et on a fait pas loin de 3000 spectateurs l’année dernière.
Sur sept spectacles, vous faites la moyenne, sachant qu’il y a des fois où c’est une petite salle, c’est la salle de Lagnes il y a 180 places possibles. Et puis après on a des partenariats avec l’Auditorium du Thor où on a plus de place, avec le Domaine de Belambra.
C’est vrai que ce qui fait aussi… Alors ça nous ennuie un petit peu parce que finalement le public ne sait jamais où nous trouver. C’est plus facile de se dire je vais au théâtre du Balcon, je vais au théâtre des Halles, je vais au Chêne Noir, parce que ce sont des lieux… Je vais aux
Tréteaux de Lagnes… Oui mais où ? Ah ! Et bien Les Tréteaux de Lagnes ils n’ont pas de lieu. Donc il faut chaque fois se demander où on est. C’est une difficulté mais en même temps je crois que c’est aussi une richesse parce que le public qui nous connaît, qui nous apprécie n’hésite pas à nous suivre. Et le public qui ne nous connaît pas, nous découvre dans des lieux improbables parce que ben ils ont vu de la lumière, ils se sont dit que quelque chose se passait, ils ont frappé à la porte et ils sont entrés. Donc cette année on va inaugurer la nouvelle salle qui s’est créée à Cavaillon.
Ca va être un nouveau pari c’est-à-dire que certes des cavaillonnais viennent voir ce qui se passe au Tréteaux de Lagnes, mais le public de Cavaillon dans son ensemble ne nous connaît pas bien. Donc ça va être une chance pour nous de toucher un public qui ne nous connaît pas encore. (rires) Sans doute que ça nous stimule aussi d’être confrontés à ces difficultés. Ce qui nous est reproché parfois, ne serait-ce que par la commune de Lagnes même, c’est de nous intituler les Tréteaux de Lagnes et d’avoir tellement étendu notre chalandise que nous sommes obligés de jouer ailleurs. Mais j’essaie de faire comprendre aux élus que lorsque le festival de La Roque-d’Anthéron se délocalisent, loin de moi la prétention de me comparer à La Roque-d’Anthéron,
mais lorsqu’ils délocalisent un spectacle c’est quand même l’image de La Roque-d’Anthéron et c’est vrai pour d’autres spectacles, d’autres festivals, donc je crois que Lagnes n’y perd pas. Mais Lagnes ne peut pas nous offrir une salle de spectacles telle que maintenant le public l’attend et les exigences des spectacles que l’on accueille l’imposent.
Parce qu’il nous faut souvent un espace scénique plus grand, il nous faut une installation en régie plus lourde, choses que nous ne pouvons pas faire dans la petite salle de Lagnes. Donc nous privilégions pour la salle de Lagnes des spectacles plus intimes, qui s’accommodent d’un espace plus restreint. [musique]
Le vieux prof que je suis commence par dire « foutu enseignement », parce que très souvent les plus jeunes – parce que c’est ça il faut qu’on touche les plus jeunes – les plus jeunes que l’on rencontre ont une vision du théâtre qui a été polluée par : »le théâtre c’est l’école ». Donc il faut d’abord les convaincre que le théâtre c’est la vie, même si c’est aussi l’école et que l’école fait un gros travail pour les amener au théâtre. Mais il faut leur montrer que ce n’est pas que cela et que c’est ancré sur la vie. Donc ça c’est quand on veut toucher les plus jeunes qui sont rétifs et qui hésitent à venir nous voir. Après on a la tranche d’âge de la génération de leurs parents, j’allais dire les trentenaires, les quadras, qui sont pris dans des habitudes, qui ont oublié qu’ils pouvaient aller au théâtre et qui effectivement trouvent
plus facile d’aller au cinéma. C’est plus simple et donc ceux-là il faut leur réapprendre que la chaleur de la vie, la présence des comédiens, c’est quelque chose de très fort qui doit les toucher. On ménage chaque fois, à la fin des spectacles, dans la mesure où les comédiens ne sont pas trop épuisés, un temps d’échanges entre les comédiens et le public, et un temps d’échanges entre le public, parce que la joie que l’on peut avoir nous équipe des Tréteaux, c’est de s’apercevoir qu’il s’est créé une espèce de réseau chaleureux entre les membres du public qui se retrouvent assez fréquemment et qui finissent par se connaître. Donc c’est une espèce de grande famille le public des Tréteaux. Cette famille s’élargit d’année en année, de spectacle en spectacle, et tisse des liens entre les comédiens et le public, donc là on a franchi un cap. On a une légère évolution du public vers des gens qui, pris par la vie par leur travail, par leurs enfants, hésitent à faire l’effort de sortir. Quelques pièces nous ont rendu un grand service pour ça. Je crois que des pièces comme « La machine de Turing », on en a parlé à la télévision, les gens se sont dit « ah bah tiens ça passe près de chez nous, on va aller voir ». Et ils se sont aperçus que aux Tréteaux de Lagnes, il se passait quand même des choses fortes.
Donc c’est vrai que ça a
fait une ouverture du public. Et puis il y a un problème majeur quand on est en campagne, ce sont les déplacements même si on essaie de ne pas être loin. Le problème est double : il est pour les jeunes parents qui n’ont pas de baby sitter pour garder les enfants ,le second problème c’est le public vieillissant qui hésite
à prendre la voiture de nuit et pour lesquels il faudrait créer un covoiturage. Tout ça ce sont des choses dont nous avons bien conscience mais il faudrait être plus nombreux, il faudrait parmi les bénévoles des Tréteaux des personnes dévolues à ces tâches là, uniquement qui s’occuperaient ni de l’affichage, ni de la billetterie mais qui s’occuperaient de cette organisation parallèle pour permettre à chacun d’être disponible, de venir au théâtre. Le théâtre c’est fait pour tout le monde et l’objectif c’était vraiment de choisir un théâtre qui puisse toucher tout le monde dont la qualité ne soit pas du tout discutable mais qu’il puissent être perceptible ne serait-ce que par la sensibilité immédiate, par les viscères par les tripes, voilà. Je crois que, bien évidemment il y a toujours des gens qui n’apprécient pas une pièce ou une autre, mais quand on entend les échos du public à la sortie des spectacles c’est notre plus belle récompense et c’est ce qui nous pousse à continuer le combat, à continuer le chemin, continuer le travail et à essayer d’élargir le public de plus en plus. Là nous sommes dans notre treizième année, mon challenge c’est d’essayer de porter les Tréteaux à leurs 20 ans. Bon c’est c’est loin, c’est beaucoup d’énergie.
On a besoin de sang neuf, ou de sangs complémentaires si ce n’est neuf, parce que voilà on a besoin de perfusions. Il y a une passion que j’ai insufflée et fait partager à un groupe mais il y a un groupe qui ne dément pas son énergie, qui ne relâche pas son attention, qui est présent constamment et quand l’un flanche, l’autre prend le pas pour essayer de ressouder l’équipe. Sans cette équipe-là il n’y aurait pas de Tréteaux de toute façon. Donc ça je tiens à le souligner parce que je leur dois beaucoup et c’est fondamental.
Ce qui m’inspire en ce moment c’est que les gens aient conscience
que, en dépit de la morosité ambiante, ils aient conscience que le bonheur c’est ici et maintenant et que l’instrument du bonheur c’est eux. Si chacun essaie d’acter dans sa vie, autour de soi, par quelque action que ce soit, quelque chose qui serve à construire le bonheur c’est comme ça qu’on y arrivera. Et pour nous équipe des Tréteaux, le bonheur ça passe par le théâtre bien évidemment. Mais ce n’est pas la seule chose, il y a une promenade au lever du soleil,
il y a la découverte des senteurs au moment de l’été, il y a … Mais oui, mais oui la planète est en déshérence mais oui tout va mal, commençons par faire en sorte déjà que chacun d’entre nous contribue à ce que ça aille moins mal. Et puis rendons compte que, au-delà de ce mal il y a une façon encore d’être heureux. Je pense que la vie ne peut être digne d’être vécue que si elle est chargée de curiosité. Chaque instant doit être l’appel à la découverte de quelque chose sinon ce n’est pas la peine !
Marie-Cécile : Merci Nicole d’avoir partagé ta passion avec nous. Je souhaite aux Tréteaux de Lagnes de pouvoir fêter leurs 20 ans et bien plus encore ! Et que l’équipe de bénévoles s’agrandisse. Prendre quelques heures de son temps pour les donner à une association, quelle qu’elle soit, est une aventure personnelle hyper enrichissante. Si en plus c’est pour voir de beaux spectacles et amener la culture à un public toujours plus large, pourquoi hésiter ? Vous pouvez retrouver la programmation des Tréteaux sur www.lestreteauxdelagnes.fr et sur sa page Facebook Les Tréteaux de Lagnes. Pour faire connaître cette belle association pensez à commenter et à partager cette interview sur vos réseaux sociaux et auprès de vos proches, et surtout allez voir du théâtre !
Découvrez cette magie qui se joue sur scène à chaque fois, vous ne le regretterez pas ! A une prochaine je l’espère-luette évidemment !
