Jean-Jacques Prévôt, artiste en cuisine et sur la toile - Interview sur Esperluette Podcast

Jean-Jacques Prévôt, Artiste en cuisine et sur la toile

Et si je peignais avec du jus de pépin de melon ?

C’est l’idée folle qu’a eu Jean-Jacques Prévôt, chef étoilé à Cavaillon (un peu aidé par sa fille Sandra-Rose, vous verrez).

Jean-Jacques est un artiste, un artiste de la cuisine d’abord où il excelle avec beaucoup de talent et d’audace. Il est connu et reconnu pour son amour du melon, qu’il décline dans son menu melon en été et notamment son célèbre homard cocotte dans un melon cuit au four, un pur régal !

Mais il n’y a pas que dans l’assiette qu’il excelle, il écrit, il sculpte et il peint, avec toujours le melon au centre de ses arts.

Il nous parle de son parcours, du courant artistique qu’il a créé : le melonnisme, de sa volonté de se renouveler sans cesse, de sa sensibilité d’artiste sensuelle et plein d’émotions.

Bonne écoute !

Merci Jean-Jacques d’avoir délecté nos oreilles, nos yeux et nos papilles. Le melon a toujours été » mon fruit préféré. Pendant mon enfance, dans le Nord, ma grand-mère tous les été me disait : Viens on va acheter du melon de Cavaillon !

A l’époque je ne savais pas où été Cavaillon, je ne me doutais surtout pas que quelques années plus tard, j’allais habiter dans le Vaucluse, échanger avec Jean-Jacques Prévôt – le Monsieur Melon – le jour où il fêtait sa première étoile au Michelin, renouvelée encore cette année.

La vie est pleine de belles surprises ! Grâce à lui je peux maintenant dire à ma grand-mère, viens voir mémé on va regarder des peintures au melon de Cavaillon ! 

Les auditrices et auditeurs d’Esperluette savent maintenant qu’il y a 1000 façons de déguster le melon de Cavaillon.


L’esperluette de Jean-Jacques :

L’amour, la plus belle source d’inspiration !

Retrouvez Jean-Jacques Prévôt sur ses toiles ou en cuisine dans son restaurant à Cavaillon : La Maison Prévôt, sur Facebook ou Instagram.

Jean-Jacques Prévôt sur Esperluette podcast
Jean-Jacques Prévôt et le mélonnisme

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A une prochaine, je l’espère-luette évidemment !

Marie-Cécile Drécourt - production de podcast à Avignon, Carpentras, Vaucluse, Monteux, Orange. Credit Photo : Audrey Papadopoulos

Produit par Marie-Cécile Drécourt

Productrice des podcasts Esperluette à l’écoute du Vaucluse & Esperluette en Mode Festival depuis 2018 avec 20 ans d’expérience en communication, je crée également des podcasts en marque blanche pour les entreprises, associations et indépendant·es et j’accompagne celles & ceux qui souhaitent créer leur podcast à le faire en toute autonomie.

Pour les malentendant·es, les épisodes sont entièrement retranscrits ci-dessous

 

Présentation de l’épisode

Marie-Cécile Drécourt : Et si je peignais avec du jus de pépin de melon ? C’est l’idée folle qu’à eu Jean-Jacques Prévôt, Chef étoilé à Cavaillon, un peu aidé par sa fille Sandra-Rose vous verrez. Jean-jacques est un artiste, un artiste de la cuisine d’abord où il excelle avec beaucoup de talent et d’audace. Il est connu et reconnu pour son amour du melon qu’il décline dans son menu avec amour en été et notamment son célèbre homard cocotte, cuit dans un melon confis au four, un pur régal ! Mais il n’y a pas que dans l’assiette qu’il excelle. Il écrit, il sculpte et il peint avec toujours le melon au centre de ses arts. Il nous parle de son parcours, de son courant artistique : « le mélonnisme », de sa volonté de se renouveler sans cesse, de sa sensibilité d’artiste sensuelle et pleine d’émotions. Bonne écoute !

Présentation de Jean-Jacques Prévôt

Jean-Jacques Prévôt : Je suis Jean-Jacques Prévôt, je suis restaurateur et cuisinier depuis toujours. En fait j’ai commencé la cuisine très jeune et j’ai 65 ans. Et je me fais plaisir depuis toujours autour de ce métier enrichissant et innovant. Alors c’est vrai que ce métier de cuisinier mène à l’art et plus ou moins nous sommes tous, les cuisiniers, des artistes. Moi je trouve que si j’étais dans la vigne je serais aussi un artiste.

Les débuts et l’inspiration

Pour commencer, j’étais amoureux de la fille d’un boulanger dans mon petit village de Théoule sur Mer, mais vraiment amoureux. Et j’étais amoureux aussi de la fille du poissonnier, très amusant ! Rien à voir, une était complètement dans mon esprit un petit peu espiègle, un peu fou-fou, joueur, et l’autre était rigoureuse, rigide, qui ressemblait à ma mère d’ailleurs (rires). Donc une ressemblait à ma mère et l’autre me ressemblait. Et j’étais amoureux de deux, de ses deux filles mais j’avais quoi 10-12 ans … Mais je crois qu’avant tout si je suis cuisinier c’est parce que je suis gourmand quand même, faut pas l’oublier.

La passion pour la cuisine et l’art

La cuisine pour moi est un plaisir intense chaque fois que je goûte quelque chose, chaque fois que je sens quelque chose, j’imagine et je suis dans le plaisir. Je crois que c’est les papilles sont là posées sur ma langue qui sont bien présentes et qui m’apportent beaucoup de bonheur, à un point on ne peut même pas imaginer. En réalité j’aurais voulu être peintre et sculpteur. En fait c’était ça ma passion, c’était la peinture et la sculpture. La cuisine c’était un hobby pour moi, je pense. Quand on a 10-12 ans on ne le sait pas mais je pense que je voulais être sculpteur et peintre. J’étais déjà remarqué à l’époque, vraiment, dans mon école, déjà tout jeune et après quand j’ai été en sixième on m’a remarqué comme peintre et mes parents m’ont pas laissé choisir cette voie parce qu’à l’époque ils n’avaient pas le temps de s’occuper de ça et puis peut-être qu’il y avait pas les écoles là où j’étais.

Son parcours culinaire

Alors j’ai pas fait d’école de cuisine du tout parce qu’elle là où j’étais à Arras dans le Nord-Pas-de-Calais, parce que j’ai quitté Théoule sur Mer pour arriver dans le Nord-Pas-de-Calais, donc un autre pays, une autre ambiance, une autre chaleur de vie et j’ai rencontré un restaurateur extraordinaire : Jean DeTrois, avec un Chef qui s’appelle Emile Annick et qui avaient tous les deux une étoile au Guide Michelin et j’ai trouvé mon plaisir culinaire à travers ce restaurant d’une étoile et c’était vraiment un grand moment pour moi, même si c’est difficile. C’était à l’époque encore très difficile. J’ai trouvé ma vocation et puis voilà j’ai fait mon chemin avec, tout simplement. Ca m’a pas empêché de reprendre mes envies de peindre et de sculpter. Ca ne m »a pas empêché et aujourd’hui je suis je suis peintre et cuisinier, les deux (rires).

La définition de l’art pour Jean-Jacques

Etre artiste c’est quoi ? Etre artiste c’est être capable de faire quelque chose qui émeut, qui donne de l’émotion, mais ça peut être de l’émotion culinairement. C’est-à-dire on va boire un verre de vin et on va dire « mon dieu qu’est-ce que c’est bon ça ! » J’envie le vigneron qui a préparé ce vin et c’est là qu’on va chercher à comprendre comment il a fait. Et moi je dis : ça c’est un artiste et ça je trouve que c’est extraordinaire parce que tout le monde peut être artiste mais j’ai bien dit tout le monde. Et si on a compris l’enfant qui vient de naître, si on a regardé ses yeux et si on est curieux avec lui, on va le diriger là-dessus. Et c’est très très important parce que l’enfant c’est nous et si on nous dirige bien, très tôt, on risque de faire de belles choses !

Le melon : un fruit unique ancré dans l’histoir de Cavaillon

La première fois que j’ai mangé du melon, c’est sur le marché. Il y a un monsieur qui coupaient le melon , un peu n’importe comment . Et moi je le regarde et je me rends compte, je compte il a 10 tranches le melon. Je me dis, pourquoi le gars il coupe pas à travers les tranches, ça serait plus joli, plus élégant ? Je ne pensais pas être « monsieur melon » un jour dans ma vie mais j’avais déjà fait l’analyse de la tranche de melon. Et je m’étais rendu compte qu’il y avait dix tranches dans un melon, entre 9 et 11. Quand on a dix tranches on dit que c’est le plus beau melon. C’est fait vrai qu’il est bien équilibré, il est joli à la vue et il est facile à peindre. Donc j’ai goûté la première tranche de melon là. Il était très sucré, très fruité, c’était un melon de Cavaillon. Je me dis : « oh quel bonheur on est déjà en était là ! Qu’est qu’on est bien ici en Provence, qu’est ce qu’on est bien ! » Et ça, ça a été ma première réaction.

En fait j’ai découvert Cavaillon en 1978, donc j’avais 23 ans. Et j’ai rencontré ma femme. Elle avait 30 ans, elle était un peu plus âgée que moi. J’ai rencontré ma femme à Cavaillon et je n’ai plus quitté Cavaillon. C’était un coup de foudre voilà j’étais très content. Une très jolie fille, gentille, avec un bel accent et j’ai été très sensible à la région, à la beauté de la femme, au melon. J’étais conquis par quelque chose. Et en fait l’histoire du melon ça commence par une gourmandise, une tranche de melon, après une tranche de vie avec l’amour, un mariage, une création de restaurant, tout… On démarre la vie à 23 ans et la vie continue. Et si le melon est arrivé après dans ma cuisine, là il y a vraiment des choses intéressantes.

On pourrait dire un melon ça ressemble à quoi ? C’est un légume qui est avant tout un fruit… mais un légume. Au départ c’était un légume et on en a fait un fruit, on l’a rendu sucré. Mais c’est toujours de la famille des cucurbitacées. Le melon c’est quoi ? Le melon c’est une mappemonde, c’est comme une planète avec une écorce terrestre, comme le melon. Avec un cœur, le magma de la terre donc le feu qui ressort à travers un volcan, et là on a le feu du melon derrière le sucre du melon qui ressort par le pécou autour de la crevasse, à l’extrémité du pécou. Donc on a le même esprit, mais ce n’est pas tout. Le melon c’est aussi le sein de la femme et au bout du sein de la femme il y a quoi, il y a un mamelon, et auquel il y a du lait. Donc on est sur trois matrices, on est sur trois esprits qui me correspondent tout à fait parce que ça ressemble au sein de ma mère que je n’ai jamais pris. Et le melon c’est quoi : c’est jouissif, c’est gourmand. Quand on va chercher un melon dans le champ, on va prendre le melon, le soupeser et on va le caresser. Et ce n’est pas rien de caresser un melon, en fait c’est sensuel. On va le prendre dans ses mains et on va le sentir, déjà. L’odeur du melon ce n’est pas rien. C’est une odeur florale, de fruits. On sent un peu l’abricot, on sent le fruit exotique, on sent la terre. On sent la feuille, donc on sent le vert, la chlorophylle. Il y a beaucoup de subtilité dans le melon. Tout ça reste dans la sensibilité. On rejoint le sein, le melon et la planète, trois matrices, trois choses… Aaaah c’est un fruit qui est merveilleux !

Il faut savoir que dans les années 70-80, la notoriété du melon disparaissait de la ville de Cavaillon. Il faut dire qu’il y a eu le marché commun qui est arrivé en Europe donc la Grèce, le Portugal, l’Espagne étaient devenus des concurrents directs à la France et donc à cavaillon évidemment. Et le Sud-Ouest en France avait aussi pris des marchés est très importants donc on ne devenait plus leader, on devenait toujours le meilleur melon mais pas en tonnage. Qu’importe ça ce n’était pas très important mais ce qui était très important – c’est ce que j’ai analysé avec les années – c’est que si Cavaillon était très connu fin 19e et début du 20e siècle, c’est que les paysans pauvres au départ sont devenus très riches. Et la richesse apporte des moyens pour envoyer les enfants faire des études. Bien sûr tous ces enfants au bout de deux générations sont devenus médecins, avocats, ils sont partis un petit peu partout en France, à l’étranger. Ils ont quitté un petit peu le territoire agricole de leur pays. Donc on s’est retrouvé avec un manque de main d’oeuvre et des parents qui sont devenus vieux, qui ont laissé la place à d’autres. Ça n’a pas suffit, en fait les grandes familles cavaillonnaises ont disparu plus ou moins. Cavaillon a perdu de cette fièvre agricole et on a perdu des marchés énormes.

Je ne savais pas tout ça quand je suis arrivée, j’avais 23 ans, je ne savais pas tout ça. Je l’ai appris avec le temps. Quand j’ai acheté ce petit local là où je suis actuellement, ce que j’ai appris par la suite, quand le propriétaire m’a donné l’acte notarié, que ce bâtiment avait été construit en 1866. C’était la première maison de Cavaillon, la première expédition de fruits et légumes, le premier comptoir des melonniers de Cavaillon. Sans le savoir j’avais acheté la première maison de Cavaillon et c’est pas hasard c’était à 800 mètres du chemin de fer donc c’était juste derrière, donc bien placé à la sortie du pont de la Durance où on allait chercher aussi le melon dans la Crau dans les Bouches-du-Rhône – d’Orgon, de Plan d’Orgon, de Senas, ça revenait ici. Ici les charretons arrivaient, rentraient avec deux grandes portes immenses leurs marchandises. Il y avait des piles en béton qui étaient derrière, on lavait le melon, on le conditionnait et le chemin de fer qui était juste derrière, qui avait été construit en 1854, il n’y a pas de hasard tout est lié au chemin fer à Cavaillon. Et cette première maison j’ai cru comprendre que Alexandre Dumas, qui aimait beaucoup le melon, qui était un fervent de melon – d’ailleurs il avait légué sa bibliothèque à la ville de Cavaillon en échange d’une rente viagère de 12 melons par an jusqu’à la fin de sa vie, ce qui a été fait – Mr Tourel, qui était le maire de la ville de Cavaillon lui a envoyé chaque année une banaste de melons. Et j’ai entendu dire qu’Alexandre Dumas se baladait chez les expéditeurs, un peu partout. Il était passé ici dans cette maison à la fin de son règne, parce qu’il est mort quelques années après, il est passé ici et il a dû peut-être dialoguer avec les propriétaires de ce lieu.

Créer un concours de cuisine autour du melon

A l’époque, Pierre Bonte, qui était journaliste et chroniqueur à TF1 dans les années 80, disait et avait écrit dans son bouquin : « Ne cherchez plus de melon de cavaillon, il n’y en a plus. Du bon melon de Cavaillon il n’y en a plus. J’étais un tout neuf dans le secteur et j’étais outré. Je lui avais dit et en fait moi je n’ai pas fait attention que Cavaillon perdait des marchés avec son melon. Moi j’ai cru en ma cuisine et je me suis dit si je ne fais pas quelque chose avec le melon de Cavaillon étant la spécialité de la ville je vais me faire bouffer par tous ces chefs qui vont arriver de Paris, qui ont des capitaux énormes. Moi j’ai besoin de survivre, j’ai du personnel, je suis parti avec des crédits, il faut que je bosse. Et donc, un jour, j’ai dit à ma femme qu’est -ce que tu en penses : créer des recettes autour du melon ? Tu peux pas faire venir un allemand, un suisse, un un autrichien, un australien à Cavaillon si tu montres pas le melon d’une autre façon. Il faut que tu le montres avec un autre esprit. Tu dois étonner les gens tu dois montrer que tu es un cuisinier et que tu as autre chose à montrer. Et à partir de là, j’ai été culotté, j’étais un jeune, je n’était pas considéré. Il y a un jour j’ai dit : « Je vais vous faire la cuisine au melon. C’est quoi la cuisine au melon ? Ben je vais cuire du melon avec du poisson. Comment ça avec tu poisson ? Oui je veux associer l’iode avec le melon. Mais c’est pas possible ! Sisi ! » Et j’ai été voir tous les artisans de la ville de Cavaillon, les bouchers, les confiseurs, les pâtissiers, j’ai été voir la Chambre des métiers à Avignon, la Chambre de Commerce, la mairie, l’office du tourisme de Cavaillon et j’ai dit : » voilà je voudrais créer un concours de cuisine autour du melon. » Et qu’est ce qui s’est passé à ce moment là ? Je me suis dit je veux recevoir des claques. Et non, le contraire. C’était merveilleux, alors là j’ai été bluffé ! Tout le monde m’a dit : On attendant un gars comme toi un peu fou pour nous proposer ce genre de choses. J’ai commencé mon premier concours de cuisine autour du melon et ça ça été extraordinaire ! Je suis parti sur quelque chose de très positif, ça ma encouragé de continuer. J’ai commencé à collectionner des objets autour du melon, de la littérature, des objets, des bouquins des choses comme ça. Le melon a été mon fer de lance et j’ai compris qu’il y avait quelque chose à faire. Et chaque année je crée quelque chose de nouveau, une nouvelle recette, un nouvel esprit. E, fait je me suis investi avec les produits de la région : les fruits et légumes et ainsi de suite. Donc j’ai pu, en même temps d’être Mr Melon, j’ai pu être aussi le cuisinier qui avait d’autres facettes, qui avait une ouverture d’esprit sur la cuisine. Même si je n’ai pas fait d’école hôtelière, je suis un autodidacte et j’ai appris mon métier avec les autres, beaucoup avec les autres.

Les débuts du mélonnisme

Moi qui aie toujours peint avec des aquarelles, avec du végétal, avec de l’huile, je suis à fait assez créatif. Toutes les matières m’intéressent. Un jour j’étais dans ma cuisine et j’étais en train de préparer des confitures de pastèques, de melon et ma fille Sandra-Rose, qui a 8 ans à l’époque, elle passe, elle me dit : « oh c’est joli ces couleurs papa ! Hmmm ça sent bon tu me fais goûter ? » Alors je lui ai fait goûter avec des petites cuillères. Et elle me dit : « Oh on dirait de la peinture ! Tu pourrais peindre avec ça. » Et je lui dis : » Oui, oui je pourrai peindre mais enfin bon ça colle, c’est comme du miel, c’est pas possible, on ne peut pas perdre avec ça. Ah bon ben ? Ben non chérie c’est comme du miel. Ah bah c’est dommage ! » Et elle m’a mis le doigt sur quelque chose. L’hiver est passé et dans ma tête, dans une petite case là derrière le cerveau je me suis dit : oui je vais trouver une recette à base de melon pour la peinture. L’été suivant, j’ai mis au point ma peinture au melon. C’est amusant parce que j’ai commencé à peindre en Normandie. J’ai pas peint à Cavaillon et j’ai été inspiré par les peintres impressionnistes fin 19e. L’endroit où je passe mes vacances, il y a une lumière exceptionnelle.

Donc j’ai commencé à peindre à base de peinture à base de melon, en sachant que la peinture de melon n’a qu’une couleur, c’est toujours une couleur de sépia. C’est une seule couleur. Ca varie en fonction des millésimes parce que ma peinture à des millésimes et en fonction des cuissons j’obtiens plusieurs couleurs mais ça reste toujours dans les couleurs sépia. Ca va être des couleurs un peu plus claires, un peu café, une sorte de couleurs de café clair, foncé, un petit peu de vert, parce que je peins également avec l’écorce de melon. Donc j’ai commencé à peindre à base de jus de pépins de melon. J’ai continué à peindre avec l’esprit du melon et j’ai commencé à créer le melonnisme. C’est une inspiration autour de l’art du melon, c’est-à-dire qu’en fait on va trouver de l’inspiration à travers la forme d’un melon, les graines de melon, le pécou, les odeurs, les couleurs.

Et en fait tout ça, ça va vers l’imagination. Le problème du sirop de pépin de melon c’est qu’il faut trois à quatre ans pour faire sécher la toile et pour passer la deuxième couche il faut attendre un an . C’est très long, c’est très intéressant. Bon quand j’ai commencé à peindre, j’ai gardé quatre/cinq ans mes toiles et je les avais finies au bout de cinq/six ans. C’est quelque chose d’unique au monde, cette collection de peintures au melon c’est unique. Donc je me suis lancé dans le melonnisme et là je travaille l’esprit du melon. Je vais travailler l’esprit de la tranche, de la graine, de la fibre, de la nervure du melon, du pécou, de la fleur du melon.

En fait je vais chercher de l’inspiration à travers le melon tout simplement. Et quand on voit le tableau on dit il n’y a pas de melon dans le tableau. Et bien il y a du melon, il faut chercher le melon. Il faut chercher où il est le melon. Ce n’est pas forcément du figuratif, non. Il y a beaucoup d’abstrait aussi dans la peinture du melonnisme et c’est là tout l’art du melon. Et j’ai un plaisir immense chaque année de mettre au point quelque chose de nouveau, comme dans ma cuisine, pareil. Parce qu’en parallèle je continue avec ma cuisine, évidemment je suis Chef de cuisine et il faut que je crée chaque année un événement culinaire. Si je le crée autour de la peinture, je le crée aussi autour de la cuisine. C’est en parallèle et c’est lié, l’un va avec l’autre.

Pourquoi cette envie de peindre ?

Pourquoi je voulais être peintre ? En fait je voulais être dessinateur publicitaire. A l’époque il fallait faire une école grandes écoles. Il fallait presque faire une école d’ingénieurs. Mais moi je n’étais pas très très bon à l’école, j’étais dernier de la classe, quand même, il faut le savoir. Pas dernier dans tout mais au moins dans les maths et dans le français(rires). En fait je suis dyslexique, j’ai du mal à le dire encore. J’écris à l’envers, je fais tout à l’envers et c’est très difficile pour moi parce que je suis obligé de tout reprendre. Et c’est pour ça que c’est une force chez moi parce que comme je reprends tout, je suis obligé de réfléchir beaucoup plus et d’aller à l’essentiel après. Je suis auteur, je suis littéraire avec une difficulté mais en réalité je travaille aussi bien que les autres. J’étais dernier à l’école, dernier en math, mon frère était premier en tout et moi j’étais le dernier. Et en finalité je m’en sors tout à fait bien parce que j’ai appris à connaître le handicap.

Quand on a un handicap aussi important, qu’à l’époque on ne soignait pas. Je n’avais pas que cet handicap là j’en avais d’autres. Je bégayais, je zozotais, …Et en fait avec le temps, j’ai appris à me connaître. J’ai appris surtout à transformer mon handicap en quelque chose de positif . J’ai appris il n’y a très longtemps qu’aux Etats-Unis, certains états vont chercher des gens comme nous, des gens qui ont des difficultés parce qu’en fait ces difficultés se transforment en positivité, en quelque chose de « doué » et on va chercher des gens doués. C’est vrai qu’en fait on dégage… Je vois autour de moi les gens qui ont le même problème que le mien dégagent énormément de choses.

Par contre ça peut aussi être un handicap à vie et négatif. Mon frère me disait souvent : c’est la passion qui t’a développé des facultés, auxquelles tu as crues, et tu es passé outre tout ça. Grâce à cet handicap, je me suis exprimé dans l’art complètement, dans la cuisine, la peinture, dans l’écriture, dans la sculpture aussi. Mais j’ai quand même un souhait : j’aurais aimé, mais il n’est jamais trop tard, que quelqu’un s’occupe de m’accompagner là-dedans. Parce qu’on est bon que si on est accompagné pour développer un peu mieux. Alors un coach voilà, quelqu’un qui a envie s’occuper de mon travail qui le développe avec moi. Parce que je vais passer à côté de choses intéressantes et il faut être aidé.

Je suis complètement dans une phase de transmission et j’ai envie du changement, de partager et ça c’est dû, une fois mon voisin, qui était un artisan, un ébéniste extraordinaire, j’adorais son travail, il travaillait tout seul. Il avait déjà 60-65 ans et il allait partir à la retraite. Et avant de partir je lui ai dit : mais pourquoi pourquoi vous ne déléguez pas, pourquoi vous ne prenez pas un apprenti avec vous ? Vous avez plein de secrets d’ébénisterie, d’essences, de vernis, pleins de choses, vous ne montrez rien à personne. Il me dit : Non, non, non mes secrets sont à moi, je ne les partage pas. Et ça ça m’a servi de leçon. Je me suis dit demain je traverse la route, je me fais écraser, plus personne n’a mes recettes. Quel dommage, mais quel dommage !

Donc à partir de là j’ai commencé à donner toutes mes recettes dans les radioss dans les magazines. Des centaines de magazines j’ai eu. J’ai toujours donné mes recettes. Tout ce que j’ai créé, je l’ai donné. Tout le temps, toute ma vie et j’ai eu raison parce que ça fait avancer. Et puis quelque part je ne perd rien, j’ai donné. On ne perd rien quand on donne. Il faut transmettre. La transmission c’est très important. Le métier de restaurateur doit travailler les cinq sens. C’est le seul métier où il y a les cinq sens. Aucun autre : On a le goût en plus, on ne va pas manger la peinture. Bien que la mienne on la mange. On manque la peinture au melon. Tu peux couper le tableau et manger le tableau et ça c’est extraordinaire !

La transmission et le partage

Je me rends compte que le peu de choses que j’ai fait en bien, ça me revient tout le temps. Le peu de choses que j’ai fait. Je me dis : mais pourquoi je n’ai pas fait plus ? Retrouver les gens, leur sourire, les embrasser comme si c’était la veille sans penser à quoi que ce soit comme intérêt, ça c’est un partage et ça j’aime ça. Et ça je me le dis souvent, les gens qui arrivent ici que je n’ai pas vu depuis trente ans, je reconnais les gens comme si c’était la veille, j’ai toujours le plaisir de le faire. En fait je ne vois pas passer les années. J’ai l’impression que c’était encore hier. Quand on a vécu plein de belles choses, qu’on ne voit plus, parce qu’elles ont disparues, on peut être un peu nostalgique et se dire : Est-ce que ce que je vis aujourd’hui c’est la même chose ? Dans 20 ans je vais penser la même chose ? Ca c’est intéressant de penser que ce qu’on va faire aujourd’hui est-ce que c’est aussi bien que ce qu’on a fait avant. Est-ce que c’est mieux, est- ce que ça peut être mieux ? Ca c’est intéressant parce que j’espère que dans 20 ans, si je suis encore en vie, de pouvoir dire la même chose qu’aujourd’hui. Ce que je vis de ma pensée d’hier et j’ai beaucoup de nostalgie à ce niveau là parce que j’aime cette ville en fait. J’aime beaucoup Cavaillon, c’est une ville que j’aime beaucoup, elle a beaucoup changé mais qu’importe. Tout le but c’est ça en fait, c’est d’avancer. Une acquis oui, effectivement on a acquis quelque chose mais le but c’est d’apprendre encore, d’apprendre pour soi-même, donner aux autres un apprentissage aussi. Et puis se dire que la vie est intéressante… la vie est intéressante.

L’amour, la plus belle des inspirations

J’aime les gens, j’aime ma fille, j’aime ma femme mais j’aime une autre personne aussi, une âme-sœur. J’ai trouvé l’âme-sœur en fait et j’aimerais continuer à apprendre avec elle, à … C’est une amie. Elle est mariée, je suis mariée. On est amis mais c’est l’âme-soeur quand même. Et ça c’est extraordinaire d’avoir quelqu’un qu’on a connu, qu’on aime évidemment, qu’on ne peut pas toucher parce qu’il y a un respect. On se le doit, on se protège et on continue à s’aimer et ça fait très fort. J’aurais jamais pensé un jour arriver à ça. Je ne souhaite qu’une chose c’est de continuer à aimer cette personne en continuant à aimer les autres évidemment, parce que le but c’est continuer à aimer. Le fin fond c’est d’aimer. L’amour c’est l’inspiration, ça c’est sûr. Dans une émission de radio on me pose la question : quel est le lien entre la peinture et la cuisine ? J’ai répondu l’amour. Tout est lié à l’amour, si on est amoureux, on amoureux de la vie donc de tout ce qu’il y a tout ce qui peut tourner autour. On n’est pas obligé de consommer. Aimer ça ne veut pas dire consommer. On peut quand même consommer intellectuellement. On va chercher à apprendre… L’amour c’est important. L’amour c’est le premier lien qu’on a. On l’a avec sa mère, avec le sein de sa mère au départ et on continue avec la vie ».

Conclusion de l’épisode

Marie-Cécile Drécourt : « Merci Jean Jacques d’avoir délecté nos oreilles nos yeux, nos papilles. Le melon a toujours été mon fruit préféré. Pendant mon enfance, dans le Nord, ma grand-mère tous les étés me disait : viens on va acheter du melon de Cavaillon. A l’époque je ne savais pas où était Cavaillon. Je ne me doutais surtout pas que quelques années plus tard j’allais habiter dans le Vaucluse, échanger avec Jean-Jacques Prevost, Monsieur melon le jour où il fêtait sa première étoile au Michelin, renouvelée encore cette année. La vie nous réserve plein de surprises et de belles surprises. Et grâce à toi Jean-Jacques je peux dire maintenant à ma grand-mère, viens voir mais on va regarder des peintures au melon de Cavaillon. Merci Jean-Jacques pour ta générosité à chacune de nos rencontres. Les auditeurs d’Esperluette savent maintenant qu’il y à mille façons de déguster le melon. A une prochaine je l’espère-luette évidemment !